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Lanimisme est cette croyance que tout objet a une âme. Étymologiquement, l’animisme est d’origine latine, et vient du mot « animus » qui veut dire esprit et âme. En fait cela insinue que sont des choses des objets immobiles qui ont des âmes. C’est une croyance et comme telle elle est l’objet de beaucoup de critique. CroyanceQue Tout Objet À Une Âme La solution à ce puzzle est constituéè de 8 lettres et commence par la lettre A Les solutions pour CROYANCE QUE TOUT OBJET À UNE ÂME de mots fléchés et mots croisés. Découvrez les bonnes réponses, synonymes et autres types d'aide pour résoudre chaque puzzle Croyancespontanée des jeunes enfants pour qui tout objet qui se meut est doué d'une vie personnelle : 4. Le monde de l'enfant commence aujourd'hui à se dessiner avec précision, avec ses traits dominants : animisme , émotivité, impulsivité. croyanceque tout objet a une ame en 5 lettres - 4 rÉponses : * Les résultats sont triés par ordre de pertinence avec le nombre de lettres entre parenthèses. Cliquez sur un mot pour découvrir sa définition . Dela croyance en l’âme humaine à l’âme à travers les objets. Il existe une philosophie de tradition qui a donné des âmes aux objets. À la fin du XIXème siècle, un anthropologue britannique du nom d’ Edward Burnett Tylor (1832-1917) connu aujourd’hui comme étant le fondateur de l’anthropologie britannique, désigne par le terme «animisme» les religions Rencontre Avec Joe Black Streaming Vf. 4 La vie après la mort approche spirituelle, religieuse et philosophique. La vie continue-t-elle après la mort, et si oui sous quelle forme ? La question de savoir s’il y a une vie après la mort est vieille comme l’humanité. La mort est la cessation définitive des fonctions vitales le cerveau ne fonctionne plus, les organes et les cellules ne remplissent plus leur rôle. L’organisme n’est plus capable de maintenir la vie il n’arrive plus à puiser l’énergie dans son environnement, il ne la transforme plus, il ne s’en nourrit plus. Mais selon certaines théories ou croyances, quelque chose subsiste consécutivement à la mort physique. Ce peut être l’individu lui-même, au sens complet, mais dont l’existence aurait été transférée » vers un autre monde, l’individualité, telle qu’elle est ressentie par l’individu, autrement dit le moi » ou ego, la conscience, l’âme, ou l’esprit, décrits comme pouvant rejoindre un autre monde paradis, enfer ou se réincarner dans un nouvel être humain, animal ou végétal. L’hypothèse de la subsistance d’une certaine forme de vie ou de conscience après la mort interroge les rapports entre le corps, le cerveau, l’âme et l’esprit. A ce titre, il convient de préciser ces deux derniers termes L’âme est le siège de l’activité psychique et des états de conscience de l’individu. Elle porte l’ensemble des états et dispositions intellectuelles, morales, affectives qui forment l’individualité. Elle est liée à la conscience, à l’ego, mais aussi à la raison et à l’intellect. L’âme peut être confondue ou non avec le cerveau. L’esprit peut être défini comme la dimension spirituelle de l’être humain, en contact avec le principe supérieur ou universel. Notons qu’âme et esprit sont parfois confondus. La vie après la mort pourrait donc être vue comme le maintien des fonctions de l’âme malgré la mort du cerveau. Pour d’autres, il s’agit de la libération de l’esprit, qui pourrait ainsi rejoindre le principe supérieur ou universel. La question de savoir ce qu’il y a après la mort incite aussi à réfléchir sur le mystère de la vie. A l’heure actuelle, aucune théorie scientifique sérieuse n’est en mesure d’expliquer l’origine, la nature et la signification profonde de la vie. Conséquence directe toutes les hypothèses peuvent être imaginées au sujet de la vie, de la mort, et de la vie après la mort. En l’absence de réponse scientifique, le philosophe devra garder l’esprit ouvert et envisager toutes les possibilités. Loin des polémiques et des débats tranchés, il s’intéressera à tous les avis, y compris aux dogmes des religions, sans pour autant s’enfermer dans une quelconque croyance ou certitude. Tentons de percer le mystère de la vie après la mort. Lire aussi notre article Pourquoi faut-il mourir ? La vie après la mort dans les différentes religions. La plupart des religions décrivent la mort comme un passage plutôt qu’une fin la séparation entre le corps et l’âme marquerait le départ de cette dernière pour le monde de l’au-delà. Dans certains cas, la crémation est associée au symbolisme de la montée de l’âme. Dans les religions anciennes. Les rites funéraires de passage vers l’au-delà sont centraux dans la plupart des cultures et des civilisations anciennes, par exemple chez les peuples du néolithique, chez les Egyptiens, les Grecs ou les Romains. Ces rites ont pour objectif de préparer et d’aider le mort dans son parcours vers l’au-delà. Selon les différentes croyances, des épreuves attendent le mort avant qu’il puisse arriver à sa destination finale traversée des Enfers, lutte contre les serpents ou les démons, traversée du fleuve Styx, etc. Dans le christianisme. Les religions monothéistes affirment la survivance de l’âme après la mort. Dans le christianisme par exemple, l’âme est considérée comme immortelle la mort physique marque simplement la séparation du corps et de l’âme. Après la mort, l’âme est confrontée à un choix rejoindre l’amour de Dieu c’est le salut, l’accès au paradis ou bien le refuser c’est l’enfer, la damnation. Par ailleurs, le christianisme introduit l’idée de la résurrection du corps, ce dernier étant destiné à rejoindre l’âme à la fin des temps. Dans le Nouveau Testament, la mort et la résurrection du Christ ont une signification particulière l’immortalité semble acquise à celui qui sait e 1 L’objectif de cet article n’est pas de donner une définition qui distinguerait sans ambiguïté ce que sont des émotions de ce qui n’en sont pas. Le terme ne le permet pas. Émotion » et autres mots semblables n’ont pas été créés avec un objectif si précis. Ils existent pour désigner des phénomènes comportementaux et expérientiels qui sortent de l’ordinaire. Le mouvement de l’esprit, parfois considérable, est caractéristique de ces phénomènes. Les Romains disaient motus ou motus animi, mouvement de l’âme. Une autre particularité tient au fait que ces mouvements de l’âme sont souvent déclenchés par des événements ou des objets qui affectent l’âme sans que la personne en question les ait recherchés. Ils ne sont pas directement soumis à la volonté ; ils s’imposent des impulsions, des actions, des pensées, des sentiments. Le Latin les désignait par affectio – dont les mots français affection » et affectif » sont issus. Outre le mouvement de l’esprit, ces phénomènes comprennent aussi l’apparition de mouvements et de réactions corporelles – comme la respiration, les battements du cœur, les cris et les soupirs – réactions qui ne sont pas provoquées par la chaleur, l’effort physique, ou l’ingurgitation excessive d’alcool … Ces dernières caractéristiques ont conduit Descartes à recourir au terme émotion, un mot courant de la langue française de son époque signifiant émeute » ou agitation ». Aristote pointait la même caractéristique dans son emploi du mot kinèsis. Enfin, ces phénomènes extra » ordinaires se caractérisent par la force, inhabituelle, de leurs actions et leur persévérance face aux obstacles, aux interruptions, aux protestations d’autrui voire de soi-même l’on dit ou l’on fait des choses dont on sait au même moment qu’il ne faut pas les dire ou les faire. C’est ce qui fait penser que l’agent est poussé à faire ce qu’il fait et qu’il n’est plus maître de lui. Les actions, ou les raisons d’agir, paraissent avoir pris une préséance dans l’organisation du comportement, du ressenti et de la pensée. C’est à cela que renvoient les mots pathê en Grec, et passion dans d’autres langues ces phénomènes suggèrent la passivité face aux affections et ont conduit certains philosophes, dont Kant au XVIIIe, à interpréter ce que nous appelons émotions comme des états de folie passagère. Autrement dit, émotion » n’est pas une catégorie solide. Ni ne le sont, du reste, les catégories émotionnelles différenciées par les noms de colère, joie, peur, ou angoisse … Comme le soulignent les travaux de Wierzbicka 1999, les catégories recouvrent des significations plus ou moins différentes selon les langues. Ainsi, sadness en anglais n’est pas l’exact synonyme du mot français tristesse ». 2 Ce que ces phénomènes désignent, en revanche, c’est l’opération d’un ensemble de modalités psychologiques fondamentales qui déterminent et guident les interactions de tout organisme avec son entourage. La notion d’ émotion » sert à indiquer des réponses complexes ou multi-componentielles » Scherer, 1984, c’est-à-dire composées de plusieurs réponses, qu’elles soient physiologiques, motrices, cognitives, affectives et/ou ressenties syndrome multi-componentiel ». Chacune de ces réponses, suscitée par les stimuli et exigences de la situation du moment, résulte de l’interaction de ces modalités de base. Chaque émotion représente ainsi un pattern de réponses différent. C’est le point de vue avancé par des auteurs comme Scherer 1994, Frijda 2007 et Coan 2010. La vraie nature des émotions réside dans les modalités fondamentales et leurs interactions, plutôt que dans un nombre restreint de patrons spécifiques. Cette dernière perspective correspond à l’idée centrale de la théorie des émotions de base » au nombre de sept – joie, tristesse, peur, colère, surprise, dégoût, mépris comme l’ont proposé les approches dominantes durant le vingtième siècle, les théories d’Ekman 1982, Izard 1977, Plutchik 1980 et Tomkins 1984. Pour ces dernières, chaque émotion de base est l’exemplaire d’un nombre restreint de patrons spécifiques innés. Pour les théories multi-componentielles, en revanche, les émotions relèvent de modalités de base qui opèrent selon une séquence fonctionnelle. 3 L’objectif de cet article est de proposer une conception relationnelle de l’émotion. Ainsi, dans un premier temps, les modalités de base constituant l’émotion sont exposées, suivies, dans un deuxième temps, de la séquence fonctionnelle de l’émotion. Cette séquence est présentée sous l’éclairage théorique d’un modèle perceptif des émotions rendant compte des processus qui régissent l’interaction des modalités de base. Ce modèle perceptif articule des arguments issus de la perspective écologique gibsonienne, de la psychologie de la Gestalt et des travaux plus récents sur la cognition incarnée. Enfin, dans un troisième et dernier temps, les manifestations de l’émotion sont convoquées en soutien de cette approche relationnelle. 1. – Les modalités constitutives de l’émotion 4 La perspective multi-componentielle stipule que l’émotion relève d’une séquence fonctionnelle impliquant l’interaction de plusieurs modalités. Les émotions sont en premier lieu le produit conjoint de deux modalités déterminantes l’évaluation et les intérêts ». L’évaluation affective et cognitive d’un objet ou événement en détermine sa pertinence vis-à-vis d’un ou plusieurs intérêts du sujet. Les émotions se caractérisent également par la préséance des réponses à l’événement – modalité qui traduit leur prévalence sur les conduites en cours – et par la production d’une attitude préparatoire sous la forme d’une disposition à l’action » qui pousse le sujet à modifier sa relation à l’objet ou l’événement. Cette modalité, enfin, favorise la sélection d’actions impulsives qui permettent l’issue visée par la disposition à l’action. Les points suivants détaillent ces modalités l’une après l’autre. – Évaluation 5 Les émotions sont, en quelque sorte, des détecteurs de pertinence » Scherer, 2005. Les théories multi-componentielles partent du principe que la pertinence d’un objet ou d’un événement est déterminée par un processus complexe d’évaluation appraisal, en anglais, extrêmement rapide de l’ordre de 100 msec ; Grandjean & Scherer, 2009 qui relève de plusieurs niveaux de traitement. Ceux-ci vont d’un niveau de traitement automatique et implicite à un niveau de traitement conceptuel conscientisé. Ainsi, ces processus d’évaluation transforment les événements rencontrés – événements bruts affectant les sens et le corps – en événements pourvus, d’une part, d’une signification pour le sujet, signification en fonction de ses intérêts cf. ci-après – et d’autre part, d’une valeur affective événement agréable ou attrayant, désagréable ou repoussant, ou indifférent, le cas échéant. 6 En principe, ces processus d’évaluation se poursuivent automatiquement, et l’information qui prend part à ces processus reste le plus souvent inconsciente. Il arrive parfois qu’elle soit manifeste, comme lorsqu’elle facilite la suite du traitement d’information. C’est ce qui ressort des expérimentations utilisant l’amorçage, qui montrent l’influence de stimuli présentés trop faiblement pour être perçus consciemment par exemple par backward masking sur les pensées ou perceptions qui succèdent Zajonc, 1984 ; Bargh, 1997. – Intérêts 7 L’évaluation de la pertinence d’un événement vis-à-vis des intérêts du sujet constitue l’aspect probablement le plus central de l’émotion Frijda, 2007. Chaque événement peut avoir des répercussions pour la satisfaction ou l’entrave de quelque intérêt. L’évaluation de cette pertinence est automatique. Sans pertinence vis-à-vis d’un intérêt, il n’y aura pas d’émotion, c’est-à-dire qu’aucun des composants qui forment une réponse multi-componentielle ne sera activé. Ainsi, la signification de l’événement est directement liée aux intérêts. Un intérêt représente une sensibilité pour une classe d’objets, problèmes, événements, conceptions de soi-même ou du monde cf. le modèle cybernétique de Carver & Scheier, 1990. Si un événement relève d’une telle sensibilité, il évoque de l’appétence, attire l’attention, comme quand on entend son nom mentionné dans une conversation qui se tient à côté. La pertinence vis-à-vis d’un ou plusieurs intérêts est la condition sine qua non pour l’émergence d’une émotion. Les émotions ont donc deux conditions d’émergence l’occurrence d’un événement et l’existence d’un intérêt vis-à-vis duquel l’événement est pertinent, c’est-à-dire dont la satisfaction ou l’entrave pourrait être affectée par l’événement. 8 Les intérêts sont des variables latentes, silencieuses. Ce n’est que lorsqu’un événement excite la sensibilité, faisant surgir l’émotion, que l’intérêt se dévoile. La notion d’intérêt inclut des sortes d’intérêts très différentes des besoins comme les besoins biologiques la faim, la soif, la chaleur corporelle et ceux moins biologiques, comme le besoin d’appartenance à un groupe social ; des ressorts, des valeurs, comme les amitiés et les amours, etc. Dès 1938, Murray en avait dressé la liste des plus communs. Bon nombre d’intérêts se conçoivent comme des valeurs de référence, telles la faim ou température Toates, 1986. Les origines des intérêts sont plurielles. Certains sont clairement des produits de l’évolution. D’autres proviennent des valeurs ou des orientations socioculturelles Schwartz, 1992. Des recherches comparatives interculturelles montrent ainsi des variations considérables dans l’importance des valeurs sociales entre les différentes cultures Schwartz & Boehnke, 2004. D’autres encore proviennent des expériences personnelles, comme celles d’attachement. Et d’autres intérêts encore ont leur source dans les aptitudes cognitives la curiosité en est un exemple et affectives la vue d’un enfant vulnérable ou des images de l’évanescence des sentiments ; Tan & Frijda, 1999. La psychologie manque à ce jour de théories concernant la nature générale des intérêts. 9 Les intérêts concernent ce dont l’individu cares about, selon l’expression du philosophe Frankfurt 1988, c’est-à-dire ce qui tient à cœur ». Les individus, qui en possèdent chacun une multitude, diffèrent dans leurs intérêts que ce soit en termes de variabilité qu’en termes de degré de sensibilité Gray & McNaughton, 2000. Certains ralentissent à chaque oiseau qu’ils voient, d’autres ne distinguent pas un moineau d’un étourneau. Cette multitude d’intérêts explique la variation considérable des émotions aux niveaux intra-individuel, interindividuel et interculturel. Elle explique également un autre fait essentiel des émotions, à savoir la pertinence d’un événement particulier vis-à-vis de plusieurs intérêts, qui suscite par conséquent des émotions différentes, voire contradictoires, en même temps. La mort d’une personne chère après une longue maladie représente une cause de chagrin tout autant que du soulagement. L’euthanasie peut émouvoir à la fois comme crime et comme bienfait. On peut se trouver en état de conflit entre deux émotions causées par un même événement. – Préséance 10 Comme cela a déjà été souligné en introduction, les émotions se manifestent comme des phénomènes de préséance en anglais control precedence. C’est ce qui donne aux émotions d’une certaine vigueur le caractère de passions. À l’exception de Ribot dans son Essai sur les passions 1907, peu de chercheurs se sont intéressés à ces phénomènes de préséance. Les réponses déclenchées par un événement évalué comme pertinent vis-à-vis d’un intérêt prennent la priorité sur les pensées et les actions en cours. Ribot évoque au sujet des émotions leur impétuosité irrésistible » [2]. Elles interfèrent avec ce que la personne est en train de faire. Lorsque l’alerte à incendie se déclenche, toute affaire cessante, on court dehors ou restons paralysés. Elles persistent malgré l’éventuelle présence d’obstacles, elles font négliger les raisons de ne pas agir de la sorte les recommandations de la Raison. Sous l’effet de la colère on dit des choses dont on sait au même instant qu’on les regrettera. Le degré de préséance correspond à l’intensité de l’expérience émotionnelle subjective Frijda, 2007. La préséance traduit l’activation du système neuronal qui émet la dopamine dans le diencéphale. Ce neurotransmetteur active les états de disposition ou préparation à l’action, en opérant sur les ganglions de la base Panksepp, 1998 ; Berridge, 2007 ; Robbins & Everitt, 2007. 11 La préséance est une propriété de la réponse multi-componentielle dans son entier. Elle représente l’engagement de la personne dans ce qui se passe. L’individu est engagé tout entier, avec toutes les fonctions qui soutiennent la réponse l’attention, l’activation d’informations en mémoire, la motivation, la prise de conscience, la mobilisation énergétique au niveau de la motricité, l’activation physiologique … Tous ces composants sont issus des différents aspects de l’évaluation, et par l’interaction des différents composants eux-mêmes Scherer, 2009. Ces composants présentent une synchronie » Scherer, 2005 ils s’influencent et s’accommodent, pour contribuer ensemble à la réalisation de la modalité fondamentale suivante un état appelé disposition à l’action ». – L’attitude préparatoire » la disposition à l’action 12 Si l’événement est évalué comme étant pertinent vis-à-vis d’un intérêt, il suscite une émotion. Plus précisément, il produit une action readiness, c’est-à-dire une disposition à l’action » ou préparation à l’action ». Une telle disposition vise la mise en relation ou le changement de la relation – établir, renforcer, rompre la relation – entre le sujet et l’événement. La disposition à l’action forme le cœur de l’émotion maintenir ou modifier la relation actuelle entre le sujet et l’événement afin de produire une situation plus favorable – ou moins défavorable – aux intérêts. De telles attitudes [3] comprennent aussi le déficit attitudinal, comme dans l’épuisement, ou l’attitude équivoque, observée lorsque les circonstances ne permettent aucune action propice, comme dans l’apathie agitée de l’angoisse. Les dispositions à l’action forment donc la raison d’être des émotions. Les préparations à l’action constituent les prémices d’actions portant sur la relation entre le sujet et un objet, déterminées par l’évaluation. Elles sont la liaison active de deux états l’actuel et celui à venir. Les dispositions à l’action se comprennent comme inclinant plus que ne réalisant ; elles dirigent vers un acte et non pas nécessairement dans l’exécution de cet acte. C’est pourquoi on peut ressentir un désir de fuir sans bouger un muscle. Les dispositions à l’action correspondent souvent davantage à des élans la mobilisation du corps qu’à la réalisation d’une action réelle. On peut éprouver un désir d’entrer en contact avec quelqu’un sans dire un mot. Ce sont des intentions motrices Burloud, 1938. Bien qu’inclinant plus que réalisant, les états de préparation à l’action consistent en l’établissement de réelles dispositions à agir, aboutissant, le cas échéant, à des vraies actions ou inactions, comme dans l’apathie. Ce ne sont pas seulement des pensées ou des images mentales. Ils consistent d’abord en des activations neurales qui peuvent durer jusqu’au moment où l’action se déploie. L’existence de cette préparation a été démontrée par les expériences de Jeannerod 2006 les réseaux neuronaux actifs lors des mouvements volontaires le sont aussi quand on s’imagine faire ces mouvements. En outre, comme cela a déjà été mentionné, la disposition à l’action activée par un événement augmente l’émission de dopamine, qui augmente la préséance. Il y a donc correspondance entre l’évaluation de la pertinence, l’attitude motrice visant à modifier ou maintenir la relation, et la forme ou la direction des mouvements qui s’ensuivent cf. ci-après. 13 Les différentes dispositions à l’action se distinguent par la relation instaurée ou visée. La relation visée renvoie à ce que la disposition s’emploiera à réaliser par l’action. Les différents modes de disposition à l’action cf. permettent de représenter les attitudes dont relèvent les différentes émotions et ainsi de les décrire sans avoir recours aux noms d’émotions. La distinction de ces dispositions à l’action est utile car chacune d’elles produit une relation sujet–objet différente. Les dispositions à l’action participent de l’expérience subjective, contribuant à la rendre différente d’une émotion à l’autre. On peut faire l’hypothèse qu’un nombre restreint de dispositions à l’action constitue un arsenal d’Ur-emotions Frijda & Parrott, 2011. Les Ur-emotions sont des universaux abstraits, identifiables à travers les cultures malgré la variabilité de leur actualisation et de leur co-occurrence avec d’autres composants du syndrome multi-componentiel que sont les émotions. Ils renvoient aux homologies existant dans les différentes cultures, rendant ainsi inutile le postulat de l’universalité in extenso de ces syndromes multi-componentiels. Ce ne sont pas les émotions dans leur totalité qui sont basiques et universelles mais plutôt ces Ur-emotions. Tous les états émotionnels humains et ceux issus d’un arsenal probablement un peu différent dans d’autres espèces animales consistent en l’une ou plusieurs de ces Ur-emotions. Les bases de cet arsenal se trouvent dans les circuits anciens du cerveau, appelés autrefois le système limbique et les ganglions de la base, associés aux neurotransmetteurs correspondants Panksepp, 1998. Tableau à l’action et noms d’émotions Dispositions à l’action et noms d’émotions 14 Le concept de dispositions à l’action trouve son origine dans le fait que, face à une situation qui suscite une émotion, on peut observer une variété de comportements qui paraissent servir une même finalité. Les différentes actions aboutissent, dans le meilleur des cas, au même changement de relation. En colère – c’est-à-dire en réponse à une obstruction causée par un tiers – on peut répondre par des coups de poing, par une insulte, ou en endommageant l’un de ses biens, tout autant d’actions qui nuisent à l’antagoniste et qui peuvent le motiver à mettre fin à son entrave. Il y a équifinalité » des diverses actions vis-à-vis de l’issue visée. C’est précisément la différence entre un réflexe, par exemple la réaction stéréotypée du sursaut, et une émotion, dont le patron de réponses est variable en fonction des variations circonstancielles du moment [4]. Les modes de disposition à l’action comprennent aussi des modes de manque explicite de préparation à l’action. Il y a parfois, en effet, absence apparente de préparation à l’action, comme par exemple dans l’apathie, l’indifférence, et le désespoir ou l’impuissance helplessness en anglais. L’inclination à agir existe, mais aucune une action praticable pour résoudre la situation n’est accessible. Cela est manifeste dans ces situations qui provoquent l’anxiété, la panique, la paralysie – mais qui sont profondément différentes de celles induisant la peur – ces situations de confrontation à un grand danger dont on ignore d’où il surgira un bombardement, un tremblement de terre ou un tsunami. Inversement, beaucoup d’émotions impliquent plusieurs dispositions à l’action du reste, la plupart des rapports verbaux d’émotions en mentionnent plusieurs ; Oatley & Duncan, 1992. L’enfant s’approche d’un objet qu’il convoite, mais le fait avec réserve car il se sent observé. Les dispositions à l’action simultanées peuvent interférer les unes avec les autres, s’inhiber, ou se renforcer. On tend à se réfréner dans une querelle maritale parce que l’hostilité de la colère rivalise avec l’affection pour son partenaire ou avec la peur de conséquences démesurées. En face d’une menace, la disposition à fuir est contrariée par la disposition à y faire face, voire à s’en approcher disposition motivée par l’intérêt lié à son amour-propre, par exemple. En visant deux issues en même temps, les deux intentions se modifient, ou produisent des états conflictuels. Ceci est au cœur de la régulation émotionnelle Frijda, 2010, 2012 ; Frijda & Mesquita, 2000, qui n’est pas un moment qui fait suite à l’émotion, mais en fait partie intégrante Mesquita & Frijda, 2011. Soulignons que les dispositions à l’action consistent en des structures cognitives » portant sur l’issue à atteindre, des attentes sur des actions à venir et des cibles. Ces structures cognitives pourraient être mieux spécifiées, bien qu’avec difficulté, puisque, lors de leur déroulement, elles sont inaccessibles au codage verbal Jackendoff, 2007. – Actions impulsives 15 Les actions émotionnelles qu’appellent les dispositions à l’action visent une issue l’établissement, le maintien, ou la modification d’une relation avec l’objet. Ce ne sont pourtant pas des actions délibérées. Elles ne sont pas guidées par un but, la représentation préalable d’une finalité à atteindre. Elles sont impulsives. Dans les distinctions opérées dans le temps entre les différents types de comportements, Wundt 1900 considérait que les actions qui relèvent des émotions ne sont ni des réflexes, ni des habitudes, ni des actions volontaires, mais des Triebhandlungen, ou actions motivées ; McDougall 1923 les appelait des instincts. Ce sont des actions impulsives, des actions qui ne sont pas précédées d’un plan ou d’un but, ni initiées par une intention préalable. Elles ne sont pas délibérées. Elles ont néanmoins une direction. Pour cela, elles n’ont pas besoin d’un but préalable parce que la recherche d’une action appropriée est déjà orientée vers l’issue. Cette dernière est déterminée par l’évaluation de l’événement. Cette issue correspond à l’issue comprise dans la disposition à l’action sélectionnée, disposition à l’action qui appelle une réponse capable d’instaurer la relation en question. Dans la peur, en face d’une menace, on est confronté à la proximité d’un danger. En conséquence, on ne cherche pas une sécurité future dont on peut bien ignorer où elle se situe. On répond à ce qui est présent dans la perception du moment on produit une action de protection contre un danger proche. Dans le désir, on ne cherche pas tant à s’approcher de l’objet qu’à anéantir la distance qui nous sépare de l’objet et qui empêche l’interaction. Dans l’amour, on suit l’affordance présente d’intimité plutôt que de se représenter les délices futurs. Dans la colère, on trouve dans son répertoire d’actions une action qui peut neutraliser un saligaud, plutôt que de penser à préserver l’ordre social. L’action impulsive, donc, est contrôlée non pas par un but préalable, comme l’action volontaire, mais par la disposition à l’action ou les dispositions à l’action le cas échéant visant à faire disparaître l’objet évalué négativement, ou à obtenir l’objet désirable, ou à intensifier l’interaction avec lui. Selon la signification accordée à l’objet, la disposition à l’action correspondante est convoquée. Le seuil de déclenchement d’une action impulsive est variable. Pour se mettre en colère, il faut parfois une frustration sévère ; mais parfois un léger contretemps suffit. La différence dépend, entre autres, des événements et des émotions préexistantes, de l’humeur du moment, c’est-à-dire d’une activation en deçà du seuil de la disposition de réponse. Ces traits convergent vers la notion de préséance, la prédominance des actions et pensées suscitées par l’émotion sur les autres activités Frijda, 2003. 16 Les actions impulsives ne sont pas des actions spéciales. Elles trouvent leur origine, pour la plupart, parmi les actions sociales et instrumentales de la vie courante. D’autres sont créées pour solutionner un problème d’interaction spécifique. La notion d’impulsivité s’applique en fait aux conditions d’apparition de l’action, appelée par la disposition à l’action, cette dernière imposant sa préséance. Hormis cette propriété de préséance, elles procèdent du même processus d’apparition que celui de toute action ou pensée non réfléchie et intuitive » Kahneman, 2012 ; Rietveld, 2008. La comparaison entre les résultats attendus de l’action et ceux obtenus via le feedback de l’action guide ce processus. Autrement dit, les actions impulsives résultent de la correspondance entre l’information cognitive et la préparation à l’action obtenue lors de l’évaluation, et l’acquisition d’information nouvelle de la perception ou la pensée quand il y a des signaux d’erreur ». Des données montrent que ces comparaisons ont lieu dans le cortex préfrontal et le cortex moteur supplémentaire Ridderinkhof Forstmann, Wylie, Burle, & van den Wildenberg, 2011. La compréhension du processus de traitement de l’information est aujourd’hui loin d’être complète. Toutefois, pour les théories de prédiction perceptuelle et cognitive Friston, 2010, 2011 ; Clark, 2012, élaborées à partir des considérations théoriques de Helmholtz 1860, toute l’information constitue un immense réseau interconnecté où les excitations se propagent. À la suite de la théorie d’inférence inconsciente de Helmholtz, ces nouvelles théories postulent que la perception est le résultat d’une machine à faire des prédictions ». Chaque perception ou pensée engendre des prédictions concernant l’information et/ou l’action à venir, la vérification de ce qui se produit réellement, et l’émission de signaux d’erreurs quand une discordance apparaît. Les émotions suivent vraisemblablement de telles procédures de traitement d’information car rien ne permet de penser qu’il existerait des procédures qui leur seraient spécifiques. 2. – Séquence fonctionnelle de l’émotion 17 La séquence fonctionnelle de l’émotion peut être décrite de la façon suivante les processus d’évaluation transforment les événements rencontrés en événements pourvus, d’une part, de sens en fonction des intérêts du sujet et, d’autre part, d’une valeur affective. Les événements sont pourvus de sens en ce qu’ils requièrent un changement de relation. Les événements qui déclenchent l’émotion, entravant ou facilitant les intérêts du sujet, convoquent des actions propres à améliorer la situation. Une attitude motrice, sous la forme d’une disposition à l’action est donc générée à cette fin. La réquisition impose la préséance de l’attitude motrice. La disposition à l’action se traduit, le cas échéant en action impulsive bien qu’elle puisse rester à l’état de seule disposition. Dans cette séquence, l’affordance Gibson, 1979 joue un rôle capital. – L’affordance 18 Comme mentionné auparavant, les processus d’évaluation touchent à la signification de l’événement Ellsworth & Scherer, 2003 ce que l’événement peut faire au sujet, peut lui apporter, lui permettre ou non de faire … Gibson 1979 évoque à ce sujet le concept d’affordance cf. Luyat & Regia-Corte, 2009, pour un exposé des récentes formalisations. L’affordance du verbe to afford fournir, offrir la possibilité est la faculté de l’organisme à se comporter en percevant ce que l’environnement lui offre en termes de possibilités d’actions. L’affordance initie les mouvements et leurs dispositions neuronales comme cela a été démontré par l’utilization behavior de patients souffrants de certaines perturbations cérébrales, Lhermitte, 1983. 19 L’affordance est une propriété de la relation organisme – environnement elle est une opportunité d’action Stoffregen, 2003. Elle dépend donc à la fois de l’environnement et de l’organisme considéré par exemple, l’eau afforde la respiration pour le poisson mais pas pour l’humain ; le sol afforde la marche pour l’humain mais pas pour le poisson. De nombreuses affordances ont été mises en évidence expérimentalement dans les domaines de l’action motrice et de la locomotion telles que le caractère passable d’une ouverture, le caractère saisissable d’un objet, le caractère franchissable d’un fossé, etc.. Les affordances se traduisent en anglais par le suffixe ability ajouté au verbe d’action considéré ex. climbability d’un escalier la grimpabilité » d’un escalier. Jusqu’à présent, les études ont essentiellement porté sur les affordances neutres » l’escalier, l’ouverture, etc.. Or, dans la vie quotidienne, tout sujet navigue dans un environnement qui n’est pas seulement neutre ». La relation organisme – environnement peut parfois s’avérer potentiellement nocive ou particulièrement propice favorable – notamment la navigation dans le monde social, celui des interactions interpersonnelles. Aussi est-il essentiel de percevoir des objets davantage que leur grimpabilité » ou leur passabilité ». Il s’agit de percevoir comment ils constituent un obstacle ou une opportunité, une menace ou une invitation à la caresse … autrement dit, leur valeur affective. Or, précisément, les processus de traitement d’information pourvoient aussi les événements rencontrés en valeur affective. Les processus d’évaluation doublent simultanément la signification de l’événement d’une attitude hédonique à son égard. Anelli, Borghi et Nicoletti 2012 ont, de la sorte, montré expérimentalement que des objets préhensibles mais dangereux n’invitent pas à s’en saisir. À caractère saisissable équivalent, les temps de réaction sont plus lents pour des objets dangereux. Leurs résultats évoquent donc l’existence d’affordances aversives, ces dernières pouvant être considérées comme des affordances affectives » qui se traduisent par une attitude affective d’attraction ou de répulsion vis-à-vis de l’événement. Des affordances affectives sont aussi observées par Coello, Bourgeois et Iachini 2012 en matière d’accessibilité d’objets dangereux et potentiellement menaçants. L’affordance affective, propriété relationnelle du système sujet–objet [5], est l’opportunité d’action envers ou l’opportunité d’action à l’encontre offerte par les objets au sujet. Une personne offensante invite à être giflée ou toute autre forme de riposte, une personne attrayante invite à être embrassée. 20 C’est au cœur de cette relation sujet–objet, qui est une relation agissante, que se situe l’émotion. Dans le système indivisible que constituent l’organisme le sujet et son environnement cf. Gibson, 1979 [6], le sujet, en constante interaction avec son environnement, est également constamment prêt à modifier cette interaction ; il est ainsi continuellement dans un état de préparation à l’action Frijda, 1986, 2007. L’émotion surgit quand survient un changement notable dans la relation sujet–objet organisme–environnement. Il y a émotion quand il y a rupture de continuité » Rimé, 2005, c’est-à-dire une modification soudaine de l’interaction sujet–objet en cours, faisant passer la relation d’un état à un autre l’interaction est rompue ou intensifiée ou réduite, etc. Autrement dit, il y a émotion quand il y a un changement de la préparation à l’action. Par conséquent, l’émotion est un processus d’extraction par l’action. Elle partage en cela le même trait que la perception. Le conducteur, devant qui surgit un obstacle imprévu, ne médite pas le coup de frein ou le coup de volant qui empêchera la collision. Percevoir l’obstacle comme un danger, c’est l’appréhender comme requérant une certaine réponse ou action un coup de frein, un coup de volant, action–réponse qui constitue l’émotion. C’est la fameuse notion d’émeute ou d’agitation de Descartes pour qui l’émotion est un mouvement physique de l’homme face au monde et de kinèsis d’Aristote de fait, l’émotion ne serait pas ce qu’elle est sans son exhortation à l’action ou exhortation à ne pas agir, comme dans l’accablement. L’émotion incite à s’approcher, ou à s’en aller, ou à s’interrompre, etc. La compassion incite à apporter de l’aide, la honte incite à se cacher, à disparaître de la vue des autres … Or, dans la perspective de la théorie de Gibson plus récemment formalisée par Stoffregen, 2003, 2004, notamment [7], mouvement et perception sont indissociables car la perception émerge grâce au mouvement. La perception est une saisie d’information information pickup [8] par l’action. C’est l’action qui fournit l’information [9], l’information étant ce que l’organisme fait émerger de l’environnement par son action et qu’il saisit pick up. Pour Gibson, la perception est directe et ne passe pas par une représentation intermédiaire. La perception n’est pas un processus interne d’interprétation, c’est un processus d’extraction par l’action. La dimension cinesthésique est donc centrale dans cette approche. C’est précisément ici que prennent place les émotions. – La cinesthésie 21 Emotion et action sont étroitement liées dans la mesure où l’émotion peut être considérée comme relevant de la perception cinesthésique. La perception ou sensibilité cinesthésique est la perception de la position du corps et des mouvements du corps [10]. Elle concerne la sensation de mouvement des différentes parties du corps. La cinesthésie, formée de deux racines grecques [11], est ainsi le sens du mouvement, la forme de sensibilité qui renseigne d’une manière spécifique sur la position et les déplacements des différentes parties du corps. Traduite en termes émotionnels, la cinesthésie se comprend de la façon suivante percevoir l’obstacle comme un danger, c’est l’appréhender comme requérant une certaine réponse – un coup de volant par exemple. C’est cette réponse, ou, plus précisément, sa perception cinesthésique, qui constitue l’émotion. L’expérience subjective du danger, c’est l’expérience de son corps mobilisé en vue d’une certaine réponse une préparation à la fuite, ou à la paralysie, ou à l’attaque préventive. Autrement dit, la phénoménologie de la peur est celle de la mobilisation du corps en vue d’une préparation à la fuite ou à la paralysie, ou à l’attaque préventive. L’expérience subjective de la tendresse, c’est l’expérience de son corps mobilisé en vue d’étreindre ou de caresser l’autre. Dans un épisode de tendresse, nous percevons une personne comme enjoignant une caresse ou une étreinte. Les émotions sont alors conçues comme livrant au sujet un monde chargé de valeurs, sous la forme d’objets invitant à l’action. 22 Par conséquent, les processus d’évaluation qui, comme on l’a vu plus haut, transforment les événements rencontrés en événements pourvus à la fois d’une signification pour le sujet – en fonction de ses intérêts – et d’une valeur affective, sont d’une nature particulière. En effet, la signification de l’objet ou de l’événement n’est pas une évaluation cognitive entendue comme un acte isolé d’appréciation intellectuelle ; c’est une forme de compréhension médiée par sa propre mobilisation corporelle. C’est ce que traduit la notion de enactive appraisal Colombetti, 2007 ou évaluation énactive » [12]. L’objet attire ou repousse. Des impulsions poussent » le sujet envers ou à l’écart de l’objet. Le psychologue gestaltiste Kölher 1929 considère que la valeur de l’objet est tout aussi immédiatement perçue que ses qualités sensibles. Pour lui, la valeur est réquisition requiredness. Ce que l’objet requiert comme réponse constitue sa valeur ex. la valeur danger. La valeur de l’objet provient donc de la phénoménologie corporelle comme l’affirment Deonna & Teroni 2012, la mobilisation du corps constitue l’expérience de la valeur danger ». Une offense requiert des actions pouvant la juguler ; un événement attrayant requiert une action d’approche et d’ouverture pour bénéficier de l’objet. Aussi la perception est-elle autant un processus moteur qu’un processus sensoriel. Du reste, au niveau neuronal, les processus sensoriels et moteurs ont un codage commun Colombetti & Thompson, 2005. En effet, comme l’explique Northoff 2012, les données de neuro-imagerie indiquent l’existence d’une activité neuronale procédant à un codage relationnel convergence intéro-extéroceptive qui, en couplant corps, cerveau et environnement, permet l’assignation de propriétés subjectives et affectives à des stimuli qui, autrement, demeurent objectifs et non affectifs. La perception est donc énactive ; c’est un type d’action, l’action constituant la perception Colombetti, 2007 ; Noë, 2004 ; Varela, Thompson & Rosch, 1991. Au niveau psychologique, action et perception sont constitutivement enchevêtrés. C’est ce qu’a souligné Kölher et d’autres psychologues avec lui Rosenthal & Visetti, 1999, 2006 ; Wallon, 1949, p. 66. D’ailleurs, lorsque les mouvements moteurs de l’individu sont inhibés, on observe une interférence dans l’expérience émotionnelle et dans le traitement de l’information émotionnelle Niedenthal, 2007. Dans cette perspective, les ressentis émotionnels sont les perceptions de ces dispositions à l’action, c’est-à-dire les perceptions de l’engagement dynamique du corps sa préparation à l’action dans l’interaction avec l’objet. Plus précisément, l’expérience phénoménologique d’une émotion est la perception cinesthésique, la perception de son corps mobilisé en vue de modifier, d’une certaine façon, la relation sujet–objet, la perception de la mobilisation du corps en vue d’une certaine action vis-à-vis de l’objet. Ainsi, cette séquence émotionnelle permet de rendre compte de l’essence de ces phénomènes appelés émotions » leur intentionnalité et leur expérience phénoménale. Ces deux aspects sont développés ci-dessous. – Intentionnalité évaluative 23 Les émotions sont intentionnelles, c’est-à-dire qu’elles sont toujours à propos de quelque chose » ; elles possèdent nécessairement un objet [13]. Elles sont déclenchées par un événement, une situation, une personne, un souvenir tel enfant a peur du noir, tel autre est fier de son tricycle. Il s’agit, plus précisément, d’une intentionnalité évaluative Deonna et Teroni, 2008. Si l’enfant est fier de son tricycle, c’est qu’il a une certaine croyance à propos de son tricycle qu’il est le plus beau des tricycles. Les croyances impliquées dans les émotions sont d’un certain type en ce sens qu’elles relèvent de valeurs axiologiques. Pour les philosophes Döring, 2009 ; Goldie, 2009, ces valeurs axiologiques ne sont pas des valeurs abstraites ou des idéaux vers lesquels tend l’individu. Il s’agit d’un type particulier de propriétés que l’objet exemplifie. Ces valeurs sont conçues comme des qualités formelles des propriétés évaluatives de l’objet qui suscite l’émotion. Autrement dit, certains objets illustrent – ou exemplifient – certaines valeurs. Etre jaloux d’une tierce personne c’est croire qu’elle est un rival la tierce personne exemplifie la valeur rivalité », être dégoûté à la vue d’un plat d’épinards, c’est croire qu’il est immonde le plat d’épinards exemplifie la valeur immondice ». Ces valeurs sont directement liées aux intérêts de la personne ; c’est pourquoi le même malheur affectera davantage s’il frappe son enfant que s’il s’abat sur l’enfant d’un autre, bien que la valeur en jeu soit identique dans les deux cas. Chaque famille d’émotion se distingue ainsi par une valeur particulière celle de l’offense pour la colère, celle du danger ou de la menace pour la peur, celle de la perte pour la tristesse et le chagrin, etc. Lazarus 1991 a forgé la notion de core relational theme pour les désigner. Pour autant, on ne peut pas réduire les émotions à des seules croyances axiologiques. En effet, comme le soulignent Deonna et Teroni 2008, p. 52, une croyance axiologique n’est ni nécessaire, ni suffisante à une émotion ». Ils invoquent plusieurs raisons. Premièrement, la complexité cognitive d’une attribution axiologique la rend impossible chez les très jeunes enfants et chez les animaux. Les uns comme les autres ne maîtrisent pas les concepts participant de ses croyances des concepts axiologiques tels que celui de danger, de rivalité, etc.. Pourtant, bien que dénués de tels concepts, il ne fait aucun doute qu’ils ressentent des émotions. Deuxièmement, il n’est pas rare de ressentir une émotion en l’absence de la croyance axiologique contingente relative à cette émotion on peut être persuadé qu’une araignée n’est pas dangereuse et pourtant en avoir terriblement peur ; on peut être convaincu de n’avoir transgressé aucun impératif moral, et être cependant rongé par la culpabilité. Troisièmement, certaines croyances laissent paradoxalement de marbre fumer tue » mentionne le paquet de cigarette. Oui, le fumeur le croit volontiers. Pourtant, il n’éprouve aucune peur absence d’émotion en présence de la croyance axiologique. Enfin, le rapport entre l’émotion et la valeur peut être anormal, comme lorsqu’on se réjouit du malheur d’autrui Dumouchel, 2002. Par conséquent, on ne peut pas considérer les émotions comme de simples » jugements de valeurs, de simples phénomènes intellectuels. L’émotion, ou plus exactement la disposition à l’action, apparaît ainsi comme un principe d’extraction spontané de la valeur. Autrement dit, la nature des processus d’évaluation ne relève pas de jugements cognitifs tels qu’entendus, par exemple, par le modèle des processus composants Grandjean & Scherer, 2009. La nature de l’évaluation est énactive. – Phénoménologie 24 En sus de son intentionnalité, l’émotion se caractérise par sa dimension phénoménale. Une émotion est quelque chose que l’on ressent ressentir le vide absolu dans la tristesse, ressentir le besoin impérieux de disparaître sous terre dans la honte, se sentir rongé par la convoitise, se sentir excité et débordant d’énergie, paralysé et incapable de penser rationnellement … Les psychologues parlent à ce sujet d’expérience subjective. Dans le langage courant du reste, le terme émotion » désigne en premier lieu cette expérience subjective je ressens une émotion. La description du contenu » de l’expérience subjective est souvent très ardue. Pour en rendre compte, le recours à la dimension corporelle est fréquent avoir des bouffées de chaleur, sentir sa gorge se nouer, son cœur battre à tout rompre, etc. Ainsi, l’idée que l’émotion consistait en une perception viscérale s’est imposée à la suite de la théorie périphérique de James-Lange. Seulement, comme l’ont montré les psychologues tout au long du XXe siècle, l’émotion ne peut pas être réduite à la seule perception des modifications physiologiques. Tout d’abord, en matière de sensations corporelles, les diverses émotions sont ressenties très différemment à travers les nombreuses cultures. En Belgique, la tristesse se caractérise par un nœud dans la gorge et des sensations gastro-intestinales Rimé, Philippot, & Cisamolo, 1990 tandis qu’en Équateur, elle se manifeste par un douloureux mal de tête et des palpitations cardiaques Le Breton, 1998. Les Français, réalisant qu’ils ont commis un impair, sentent leur cœur s’arrêter de battre et le rouge leur monter au front Lelord et André, 2001 tandis que les Chewong Malaisie expriment leur honte par le fait que leur foie est tout rétréci. Quant aux Samoans Polynésie ou aux Ifaluks Micronésie, ces peuples ne rapportent aucune sensation corporelle lorsqu’ils décrivent une émotion donnée Mesquita et Frijda, 1992. De plus, au-delà du fait que des différences interculturelles existent dans la façon de ressentir physiquement les émotions, les recherches psychophysiologiques sur la viscéroception ont montré que les sensations corporelles ne pouvaient pas être déterminées par des changements physiologiques réels puisqu’on n’a jamais pu établir de corrélation significative entre les sensations corporelles et des changements neurovégétatifs objectifs par exemple, le rythme cardiaque mesuré par électrocardiogramme ; Edelmann & Baker, 2002. En réalité, l’être humain est incapable de viscéroception … ce qui signifie que, plutôt que de correspondre à des modifications physiques sous-jacentes, les sensations corporelles sont en fait la traduction de représentations cognitives culturelles appelées schèmes psychophysiologiques Philippot, 1997 [14]. À ceci s’ajoutant que les recherches psychophysiologiques aient été incapables d’établir des configurations physiologiques spécifiques de chaque émotion et que la théorie périphérique s’est trouvée dans l’incapacité de rendre compte de la dimension intentionnelle des émotions c’était la principale objection des théories cognitives à son égard, l’idée selon laquelle l’émotion serait la perception de sensations internes a été abandonnée. 25 L’expérience subjective constitue l’un des composants majeurs de l’émotion. Cette expérience consciente de l’émotion reflète les modalités évaluation, intérêts, préséance … non conscientes sous-jacentes, bien qu’elle ne le fasse qu’en partie et généralement à l’insu du sujet. En effet, la plupart de ces modalités passent inaperçues comme Bargh 1997 entre autres l’a montré dans ses travaux. Ou encore, le sujet attribue sa réponse par exemple une préférence à une modalité qui en réalité n’en est pas responsable. Cette attribution erronée repose sur des préconceptions cognitives. Ainsi, dans les expériences de Nisbett & Wilson 1977 la préférence pour l’un des deux stimuli deux linges identiques sur un présentoir n’était pas attribuée à sa cause réelle sa localisation sur le côté droit de l’étalage, mais était attribuée à d’autres raisons. Ces données conduisent certains auteurs à considérer l’expérience subjective de l’émotion comme un épiphénomène superflu, dont le rôle n’est pas essentiel dans le processus émotionnel LeDoux, 1996. Les raisons pour lesquelles cette vue est décidément incorrecte sont exposées ci-après. – Les niveaux de conscience dans l’expérience subjective 26 L’expérience consciente a un rôle important dans les émotions. Tout d’abord, sans expérience consciente il n’y a pas d’action ou mouvement intentionnel spontané Dehaene & Naccache, 2001 ; Weiskrantz, 1997. Des patients blindsight, c’est-à-dire dont la cécité est due à des sections de la rétine, peuvent discriminer correctement des stimuli parvenant à ces sections quand on les invite à deviner ce qui pourrait s’y trouver. Il en est de même quand la cécité est causée par interférence par backward masking. Les patients peuvent éventuellement répondre correctement quand on leur demande de deviner. Néanmoins, ces directives sont essentielles, car si on ne lui demande pas de deviner, le sujet n’est pas spontanément curieux vis-à-vis de ce qu’il ne voit pas. Voir consciemment et être curieux une capacité de première importance, même pour une souris ou un merle ! En deuxième lieu, l’inspection visuelle par le regard prolonge la durée de réception de l’information, la quantité d’information reçue, et l’étendue des rapports verbaux à autrui Baars, 1997. De plus, en présence de stimuli agréables ou intéressants, des actions pour augmenter leur réception sont produites, comme quand on fait couler le vin autour de sa langue ou que l’on regarde encore et encore une personne attrayante. Ces actions ne sont pas vaines. Ce sont des actions appelées mouvements d’acceptation » Frijda, 1986. Elles forment ou renforcent un lien affectif et une inclination à retourner à l’interaction. Ce phénomène s’observe aux niveaux les plus bas des fonctions cognitives, comme l’enfant sans cortex cérébral qui sourit en tenant un bébé dans ses bras Merker, 2007. Ces enrichissements d’information dans la mémoire ou le souvenir – et les sentiments donc – trouvent probablement leur base dans la récurrence d’activités neurales dans les mêmes réseaux de neurones Edelman & Tonino, 2000 ; Lamme, 2006. Enfin, un dernier argument est celui de la recherche des plaisirs et le fait de prendre le temps et l’initiative de les expérimenter. Il n’y aurait aucune raison d’entreprendre des activités qui procurent du plaisir assister à des spectacles, faire du sport, s’engager dans des interactions amicales si on n’éprouvait aucun sentiment en les pratiquant … La raison de ces plaisirs provient de la satisfaction des intérêts concernés, lesquels sont définis par les états du sujet ou du monde en question. L’inverse est vrai pour la douleur. Elle signale l’absence de satisfaction des intérêts, ou l’entrave à leur satisfaction. Aristote, dans son Éthique à Nicomaque, a présenté la raison des sentiments. Son explication reste valable. Les sentiments élémentaires – plaisir, douleur, désir – forment les moniteurs du fonctionnement du système animal en général, et résument le bilan du fonctionnement de toutes les fonctions en cours d’opération Frijda, 2007. 27 Le recours au terme consciente » nécessite quelques précisions. L’émotion procède de niveaux de conscience différents Tcherkassof & Mondillon, 2013. Ces niveaux de conscience sont dits anoétique, noétique, et autonoétique Philippot, Douilliez, Baeyens, Francart, & Nef, 2003 [15]. Lorsqu’elle relève d’un niveau de conscience anoétique, l’émotion n’accède pas à la conscience elle est non consciente. Elle est suscitée par un antécédent non conscient, c’est-à-dire que l’événement qui cause l’émotion est inconscient. L’émotion est bien présente car on en observe l’influence au plan cognitif au niveau du raisonnement, de la catégorisation, des inférences, de la prise de décision, etc. ; cf. Damasio, 1995, qui a démontré le rôle clé des émotions dans les processus de décision ; voir aussi Channouf, 2006, pour une revue. De plus, certains de ses composants sont activés on observe des manifestations physiologiques ou comportementales, par exemple. Cependant, la personne n’est pas capable de verbaliser sa réaction émotionnelle au moment où elle se produit » et ne rapporte aucune expérience subjective émotionnelle. Ainsi, l’évaluation d’une boisson par des participants qui indiquent ne rien ressentir de particulier mais qui ont été soumis à une induction émotionnelle sans qu’ils en soient conscients était congruente avec la valence de l’induction Winkielman & Berridge, 2004. L’émotion peut aussi relever d’un niveau de conscience dit noétique, sorte de conscience émotionnelle phénoménologique immédiate et non réflexive Block, 2007. Par exemple, en matière de perception visuelle, le piéton, marchant dans la rue tout en étant absorbé dans une discussion et pourtant esquivant les obstacles arbres, bancs publics, bornes à incendie, etc., prouve l’existence d’une conscience des obstacles. Toutefois, le piéton n’a pas conscience de ces obstacles, il n’en prend pas conscience et ne les évite pas sciemment et sera par exemple incapable de rappeler par la suite les obstacles rencontrés. Ce type de conscience a été démontré empiriquement par Dehaene, Changeux, Naccache, Sackur et Sergent 2006. Des études en neuro-imagerie leur ont permis de cerner un état d’activité préconscient transitoire au cours duquel l’information est potentiellement accessible, sans que le sujet y accède consciemment cf. aussi Lamme, 2006. En matière émotionnelle, ce niveau de conscience constitue la forme la plus commune de l’expérience émotionnelle et caractérise l’expérience émotionnelle des jeunes enfants notamment. L’expérience subjective apparaît diffuse et inarticulée. Elle n’est pas verbalisable. Elle s’apparente, par exemple, à l’expérience directe du goût du vin, c’est-à-dire qu’elle relève de la seule sensation ou qualia. La personne n’identifie pas l’émotion qui l’affecte, tout comme le piéton n’identifie pas les obstacles. Elle est immergée dans son rapport à l’objet ici et maintenant Frijda, 2005. C’est une conscience émotionnelle irréfléchie dans laquelle la personne et l’objet de l’émotion sont indissolublement unis Sartre, 1939. Un truisme phénoménologique caractérise ce niveau de conscience le monde ne semble pas comme ci ou comme ça ; il est comme ci ou comme ça – vivre dans un enfer où il n’y a aucun moyen de s’échapper. Dans le bonheur, le monde n’apparaît pas comme s’il était rempli de gens bons et beaux ; les gens sont bons et beaux. Ce niveau de conscience favorise la mise en œuvre de processus d’attributions afin de donner du sens à ce qui est ressenti Schachter & Singer, 1962 ; Weiner, 1986 faisant alors passer l’expérience subjective au niveau autonoétique. La conscience d’être le sujet d’une émotion clairement identifiée résulte de processus autonoétiques ; c’est lorsque la personne prend conscience qu’elle est dans un état émotionnel particulier. Dans ce cas, elle peut verbaliser son état émotionnel je suis vraiment très en colère ». Il s’agit d’une conscience réflexive dans laquelle l’expérience émotionnelle est davantage articulée l’un des ou plusieurs composants de l’émotion devient l’objet de réflexion. La personne prête attention à ses propres états et les interprète selon la théorie naïve des émotions à laquelle elle souscrit. Cette théorie naïve comporte les différents scripts en vigueur dans la culture de la personne et toutes les considérations de sens commun concernant le rôle des pensées, des sensations corporelles, des inclinations comportementales, etc., au sujet des émotions. Ainsi, Lambie et Marcel 2002 notent que les expériences subjectives de peur, d’anxiété et de tristesse sont davantage décrites par les Chinois, comparativement aux Américains blancs de classe moyenne, en termes de sensations corporelles et de concomitants interpersonnels et ne le sont jamais en termes de caractéristiques intrapsychiques comme des pensées par exemple. En revanche, les descriptions des émotions que font les Samoans ou les Ifalukiens n’incluent aucune référence à des corrélats physiologiques Mesquita & Frijda, 1992. 3. – Les manifestations de l’émotion 28 La notion de disposition à l’action devient plus explicite lorsqu’on examine les actions occasionnées par des événements émotionnels, et en particulier en examinant les expressions faciales et corporelles. Pour de nombreux auteurs de l’école néo-darwinienne américaine par exemple Ekman, 1982 ; Tomkins, 1984, l’interprétation de ces expressions » est souvent celle d’actions de communication servant à informer autrui de son émotion. Mais il est plus approprié de leur donner une tout autre interprétation. Il faut considérer ces mouvements comme des actions, ou parties d’actions, qui servent à établir ou modifier une relation avec un objet Claparède, 1928 ; Dewey, 1894 ; Frijda, 1986 ; Kafka, 1950 ; McDougall, 1923 ; Ribot, 1907 ; Sartre, 1939 ; Wundt, 1900. – L’expression émotionnelle comme attitude relationnelle 29 Les émotions se conçoivent difficilement sans leur dimension expressive. Les actions déterminées par les dispositions à l’action montrent que les émotions ne sont pas que des perturbations internes, comme Descartes l’avait bien relevé. Elles représentent des phénomènes se déroulant entre un sujet et un objet, qu’il soit réel ou imaginé. Elles relèvent d’attitudes envers cet objet, dans la perspective de Bull 1951 et de Deonna et Teroni 2012, ou de positions adoptées envers l’objet Frijda, 1953, des attitudes qui peuvent se manifester dans des actions réelles. Les dispositions ne sont pas des attitudes se déployant au sein du sujet. Elles ne se déploient pas dans le sujet. Elles se déploient entre le sujet et l’objet. On essuie une remarque offensante et on y répond par une action destinée à blesser l’offenseur et à le décourager de persister dans son action. Les dispositions à l’action instituent un certain type de relation avec l’environnement. C’est pourquoi l’émotion est un processus relationnel. Elle se déroule entre le sujet et l’objet. Elle est dans cette relation agissante. 30 Le terme expressif » signifie que la compréhension du comportement implique la compréhension de la signification du comportement. L’observateur ne perçoit pas le comportement expressif comme un mouvement vain ou insignifiant. Comme l’ont souligné les approches gibsonienne, mais aussi gestaltistes et phénoménologiques, en matière de perception, la signification est inhérente au phénomène expressif. Elles indiquent par là le caractère sémiotique de la perception, c’est-à-dire que ce qui est perçu l’est toujours comme expression qui fait sens » Visetti & Rosenthal, 2006. Tout comportement est porteur de sens, il véhicule des significations, c’est pourquoi il est dit expressif ». De quelle façon ? Tout d’abord, la Gestalt psychologie a mis en exergue le fait que l’enchaînement des mouvements est pourvu d’organisation unitaire Kölher, 1929. La conduite d’une personne est organisée de manière à concorder avec l’organisation de son projet motivationnel en cours. Il y a continuité de ses intentions. Cette organisation est perçue par autrui, c’est-à-dire que le comportement exprime » cette organisation. Les mouvements apparaissent comme un courant cohérent de faits visuels. Plus précisément, le comportement expressif se présente sous la forme d’un flux continu et, par conséquent, en tant que flux continu, il parvient à l’observateur comme un tout » Toniolo, 2009. Son caractère cinétique est fondamental la dynamique motrice du comportement expressif participe de son organisation. Toute rupture de continuité de ce flux, c’est-à-dire toute modification du fil » de la conduite, traduit la mise en place d’une nouvelle organisation motivationnelle, d’un nouvel état intentionnel. Cette discontinuité est comprise comme telle par l’observateur. Notons que la discontinuité ne doit pas seulement être conçue comme un changement brutal ou radical du flux comportemental. La rupture de continuité se traduit aussi par le changement de rythme et/ou d’intensité. Lambie et Marcel 2002 évoquent à cet égard les qualités prosodiques » des comportements émotionnels. Comme le souligne Kölher 1929, l’expression émotionnelle partage les caractéristiques de l’expression musicale. De la même façon que les indications de mouvement, de phrasé et de nuance figurant sur la partition permettent à l’interprète de conférer toute son expression à la musique, mouvement, phrasé et nuance confèrent toute son expressivité au comportement. En musique, le mouvement ou tempo désigne l’allure à laquelle une mélodie doit être interprétée. Il correspond au rythme de battement de métronome allegro animé par exemple. Le phrasé, lui, se rapporte aux fluctuations dynamiques les changements de tempo accelerando par exemple. De même, dans le domaine comportemental, le mouvement expressif peut durer ou non, peut apparaître brusquement ou plus graduellement. Au fur et à mesure que s’installe le souvenir de l’injustice dont elle a été victime, la personne marchera avec une vitesse croissante, au rythme de son indignation grandissante. Dans la dynamique musicale, les nuances désignent la variation d’intensité d’une note ou d’un accord, d’une phrase, etc. sforzando c’est-à-dire accentuation soudaine d’intensité par exemple. Les termes crescendo et diminuendo correspondent aux changements progressifs d’intensité. La personne exaspérée de devoir répéter sa réponse à son auditeur inattentif la criera violemment en dernière instance. Ainsi, les propriétés temporelles du mouvement de même que celles relatives à ses nuances renvoient au mode intentionnel du comportement expressif. 31 Le caractère intentionnel du comportement expressif renvoie au fait que le comportement est saisi comme interactif. La perception du mouvement est la perception d’une relation [16]. En situation réelle, l’observateur perçoit le sujet comme se comportant dans un contexte donné et comme réagissant à ce contexte c’est-à-dire le système sujet–objet. Aussi le sujet est-il perçu comme interagissant avec son environnement, comme répondant activement à quelque événement de son environnement comme prêtant attention à quelque chose, comme ayant un mouvement de recul face à quelque chose …. Lorsqu’on voit que les yeux d’une personne s’orientent dans une direction particulière, ce qui se trouve dans cette direction est aussitôt mis en rapport avec ses yeux, son visage et l’ensemble de sa personne. Autrement dit, les traits du visage du sujet et/ou la position des membres de son corps sont pourvus d’un contenu intentionnel. Par exemple, des yeux grands ouverts et des sourcils levés ne sont pas de simples globes luisants surmontés d’une touffe de poils. Ils sont pourvus de référence intentionnelle ces yeux regardent quelque chose ou quelqu’un. Par conséquent, la signification d’un comportement expressif expression faciale ou posturale correspond à son caractère intentionnel », c’est-à-dire impliquant une relation entre un sujet et un objet vers lequel le sujet s’oriente. Kölher 1929 souligne que cette mise en relation sujet–objet est l’un des principes perceptifs mis en avant par la Gestalt psychologie le groupement perceptif. Cela est également vrai lorsque, par exemple, la personne s’écarte. Ici encore, la référence à un objet apparaît clairement à l’observateur. Si la personne s’écarte, c’est qu’elle évite quelque chose. Le sujet est perçu comme répondant activement à quelque événement de son environnement et non comme un-individu-exprimant-une-émotion » c’est-à-dire comme signalant quelqu’état émotionnel interne. Du reste, la perception de la signification émotionnelle n’est pas d’ordre sémantique, elle n’implique pas nécessairement l’attribution d’un état interne. Les enfants de quatorze mois donc non verbalisés de l’étude de Gergely, Bekkering et Király 2002 dégageaient l’intention des actions qu’ils observaient chez des adultes pour élaborer leurs propres actions cf. aussi Rossano, 2012. L’expression perçue ne va donc pas au-delà du fait perceptuel. Comme l’affirme Toniolo 2009, le comportement expressif donne lieu à une connaissance subjective au sens phénoménologique du terme. Il parvient à la conscience de celui qui le perçoit comme un donné immédiat exempt de médiation conceptuelle ». Ainsi, le visage ou les gestes d’autrui ne sont pas vus comme isolés mais comme une Gestalt, c’est-à-dire une-personne-en-mouvement-dans-une-certaine-situation » et interprétée comme telle. L’intentionnalité qui est, comme on l’a vu plus haut, au cœur de l’émotion est également au cœur de l’interprétation de son expression. C’est pourquoi l’on peut avancer que la signification reconnue dans un comportement expressif est la préparation à l’action du sujet, c’est-à-dire la façon dont il se relie ou ne se relie pas à son environnement à un moment donné. En effet, le comportement expressif est perçu immédiatement dans sa dimension intentionnelle. De fait, lorsqu’on compare le taux reconnaissance d’expressions faciales d’émotions mesurée soit par l’assignation de modes de dispositions à l’action soit par celle de noms d’émotions, les résultats montrent que les taux de reconnaissance sont équivalents Tcherkassof, 1999 ; Tcherkassof & de Suremain, 2005. La reconnaissance de la signification d’un comportement expressif correspond donc à la reconnaissance de la préparation du sujet à établir une relation avec l’environnement, et surtout à la reconnaissance de la forme de la relation approcher, rejeter, se cacher, se soumettre. De la sorte, émotion et comportement expressif sont étroitement liés car les émotions, précisément, sont des dispositions à l’action. 32 Les phénomènes expressifs les gestes, la démarche, les jeux de physionomie, le ton de la voix, la prosodie reflètent toute la complexité des dispositions émotionnelles le mélange d’attrait et de répulsion, de curiosité et de méfiance, une bienveillance mêlée de froideur, une cordialité un peu dédaigneuse, etc. On peut rire d’un trait d’humour sans se départir tout à fait de son angoisse d’un bilan de santé ; on peut s’attrister du malheur d’autrui sans se départir tout à fait de son bonheur d’être enceinte. L’expression émotionnelle peut se comparer à un langage dont les réflexes, tombés pour la plupart sous la dépendance de la volonté, en composeraient le vocabulaire et dont la syntaxe, naturelle chez l’animal, serait chez l’être humain, en grande partie socialisée. Par exemple, lorsqu’une personne peu ou pas familière s’approche de lui, l’enfant soit détourne son regard, soit s’éloigne, soit se dissimule derrière les jupes de sa mère. Dès que l’on cesse de s’occuper de lui, il jette de temps à autre un regard furtif du côté de l’intrus. Le sens apparent de cette conduite est très clair et se perçoit directement ce n’est pas tant une réaction de timidité ou de peur qu’une réaction de dissimulation. Pour Burloud 1938, il s’agit très probablement là d’une réaction instinctive accordée, dans le passé ancestral, à l’expérience de longues générations d’individus qui ont appris à leurs dépens le danger de se livrer naïvement à autrui, prédateur en puissance. Ainsi, des correspondances fonctionnelles établies par la mémoire, par les habitus et par l’hérédité relient un comportement expressif aux dispositions émotionnelles qu’il manifeste extérieurement voir aussi Oatley et Jonhson-Laird, 1987. Bien que l’expression émotionnelle puisse se comparer à un langage, les signes qui composent ce langage n’appellent pas une lecture analytique. Les comportements expressifs ne sont pas tout d’abord saisis dans leur morphologie, morphologie qui serait ensuite interprétée. Les expressions faciales, par exemple, ne sont pas de simples suites d’unités d’actions cf. les Actions Units du FACS d’Ekman et Friesen, 1978 dont la configuration morphologique à un instant t serait le prototype d’une émotion donnée et par conséquent identifiée comme telle. Les conduites expressives, expressions faciales comprises, réorganisent le champ de l’observateur et établissent une Gestalt, comme la succession de notes de musiques établit une mélodie. C’est pourquoi même l’émotion d’expressions inauthentiques » peut malgré tout être reconnue. Ainsi, Guillaume Duchenne de Boulogne, neurologue du XIXe siècle, explique dans son ouvrage sur l’expression des passions que l’artiste ayant façonné la fameuse sculpture antique du Laocoon, exposée au musée du Vatican, a commis une erreur de modelage puisqu’aucun visage ne saurait exprimer l’expression émotionnelle arborée. En effet, aucune contraction musculaire ne saurait la produire. Il rectifie la faute » en présentant une statue ayant une tête identique mais dont le visage est modelé en respectant la physiologie des mouvements expressifs de la face. Sa démonstration prête à réflexion bien qu’aucun système d’analyse objectif ne puisse coder les éléments faciaux discordants d’un visage tel que celui du Laocoon, n’importe qui est pourtant en mesure de reconnaître la douleur morale et le désespoir qu’il exprime admirablement … – L’émotion un patron de réponses multi-componentielles 33 Concevoir l’émotion comme patron de réponses multi-componentielles permet de rendre compte de la grande variété des manifestations émotionnelles. Dans le langage courant, le mot émotion » est utilisé pour désigner des réponses manifestant l’excitation vigoureuse du système nerveux autonome et autres mouvements véhéments comme des grimaces faciales, gestes prononcés des mains, gesticulations des bras, courir à toute vitesse, donner des coups de poing, fracasser des plats, crier à voix haute … Mais les cinq modalités de base peuvent se manifester de façons bien différentes. Il y a autant de manifestations simples et subtiles qu’il y en a de grossières, amples ou violentes. Certaines peuvent être élaborées, d’autres fragmentaires un battement de paupières en réponse à une remarque dénigrante, un froncement des sourcils à peine perceptible lors d’un souvenir douloureux, l’interruption de ses pensées pour regarder brièvement dans le vide, ou un simple regard foudroyant adressé à son contradicteur lors d’une controverse. Le plus dissimulé des composants est celui des réactions limitées aux actions neuronales, comme celles observées et enregistrées lors des expériences de Jeannerod 2006, et qui ne se manifestent peut-être que seulement au sujet à travers ses sentiments conscients. L’occurrence d’une émotion peut ne consister qu’en une seule action impulsive, ou en une suite d’actions qui partagent la même modification de relation, comme dans une querelle où insultes, reproches, coups et menaces s’enchaînent. Les suites d’actions peuvent manifester une préséance radicale, ou montrer une certaine retenue ou contrôle, celle qui adoucit les reproches et modère la violence ou transforme la brutalité de l’approche érotique en la rendant douce et gentille. Les actions peuvent également ne consister qu’en une seule fraction d’action, comme les yeux devenant juste humides ou l’attitude du corps seulement un peu tendue. Une expérience d’émotion peut encore être limitée à des expériences conscientes de l’évaluation d’un événement ou d’une disposition à l’action, sans qu’il n’y ait aucune activité motrice. C’est le cas lors de l’observation attentive des mouvements d’autrui, qui donne lieu aux activités de neurones de miroir » Rizzolatti et al., 1999, et lors des émotions raffinées » Frijda & Sundararajan, 2007, c’est-à-dire des émotions entièrement virtuelles, suscitées lors de l’imagination d’une action ou évoquées par l’empathie avec une personne perçue ou par une description verbale Frijda, 2013. 34 L’ émotion » peut dès lors être définie par des manifestations prononcées, comme les grandes agitations, autant que par des manifestations bien moins saisissantes voire modestes, mais traduisant toujours l’une des modalités de base. Ainsi, certains épisodes de chagrin sont trop grands pour les larmes ; certaines marques d’amour ne se manifestent que par une caresse fugace ou par une attention et une rêverie que la passion seule peut donner » Madame de La Fayette, La princesse de Clèves. Quoi qu’il en soit, le mot émotion » est généralement réservé pour les réponses multi-componentielles d’une durée plus ou moins brève – entre quelques secondes et plusieurs jours. C’est la durée des réponses aiguës telles que les excitations du système nerveux autonome, les dispositions à l’action et autres engagements interactifs avec un antécédent émotionnel. 35 Mais les effets de telles réponses ne se limitent pas à leur phase aiguë. Elles laissent des traces cognitives et sociales durables. De fait, un prolongement caractéristique de tout épisode émotionnel est le partage social des émotions qui s’en ensuit quasi inévitablement Rimé, 2009. Elles entraînent aussi des changements dans la relation à l’objet. La rencontre avec l’ami avec qui l’on vient de se quereller est dorénavant plus réservée. On pourrait appeler ces traces des attitudes affectives latentes ». Le patron d’évaluation préalable à l’épisode émotionnel est dorénavant modifié. Ce nouveau patron suscite désormais une nouvelle disposition à éprouver certaines émotions – ou attitudes corporelles – envers l’objet. La seule mention du nom de l’ami provoque maintenant une froideur qui n’existait pas avant. 4. – Conclusion 36 La psychologie oscille depuis toujours entre une approche physiologique de l’émotion et une approche intellectualiste, négligeant ainsi, dans la vie affective, ce qui est authentiquement affectif. Dans la vie courante, le terme émotion désigne en premier lieu des phénomènes expérientiels extra » ordinaires. Comme l’ont souligné Aristote ou Descartes, ces phénomènes sont marqués par une dimension cinesthésique qui leur est caractéristique. En effet, les ressentis émotionnels sont des perceptions de l’engagement dynamique du corps dans l’interaction. Pourtant, la qualité cinesthésique des émotions a toujours été délaissée par la plupart des théories psychologiques. Cet article présente les arguments plaidant en faveur d’un modèle perceptif de l’émotion qui trouve sa place entre une vision naturaliste et une vision intellectualiste. Ce modèle perceptif, qui s’inscrit dans une conception relationnelle du concept d’émotion, explicite le lien entre intentionnalité et phénoménologie, deux dimensions des émotions que les théories psychologiques ont jusqu’à présent peiné à concilier. Il accorde un rôle central à la cinesthésie, faisant de l’émotion une relation sujet–objet transitoire conçue dans un système perception–action Warren, 2006. 37 Cette contribution propose ainsi des arguments en faveur de l’idée que les émotions sont des attitudes corporelles exprimant la relation du sujet à l’objet émotionnel. Ces arguments sont basés sur les récentes avancées des sciences cognitives notamment en matière de cognition incarnée. Ces avancées dictent l’abandon d’une description catégorielle en faveur d’une description fonctionnelle des émotions. En effet, le recours au concept de fonction » permet de délaisser celui de substance » auquel Ernst Cassirer 1908 avait recours et à sa suite de nombreux psychologues. La psychologie d’inspiration naturaliste a fait de l’émotion une substance, substance qui saisit » la personne. L’émotion ne saisit pas. Elle n’envahit pas. Elle ne s’installe pas en transit ». L’émotion s’incarne. Elle se matérialise sous la forme d’une relation à l’objet. L’émotion est l’attitude prise vis-à-vis de l’objet qui requiert cette réponse, elle est la disposition à l’action requise par l’objet. Les émotions sont ainsi des relations transitoires, ce sont des rapports à l’objet à un moment donné. L’attitude adoptée constitue le rapport à l’objet instauré par la personne. L’attitude est une mise en relation ; et la perception de l’attitude est la perception de cette relation. C’est pourquoi tout comportement a un sens, sens qui est saisi par l’observateur. Le sens n’est pas surajouté l’enfant qui pleure son doudou perdu n’est pas un enfant qui exprime » sa tristesse », c’est un enfant désespéré par cette perte. La tristesse n’est pas une substance qui viendrait saisir l’enfant et s’exprimer à ses dépens ». Les pleurs de l’enfant relèvent d’une sémiose, c’est-à-dire un ensemble signe–contexte–signification » Rosenthal & Visetti, 2010. Le comportement expressif de l’enfant traduit son attitude, sa relation à l’objet, qui est ici une relation de perte. 38 Les avancées actuelles des sciences cognitives soulignent le soubassement moteur des émotions et étayent la conception relationnelle présentée ici. L’approche neuro-phénoménale soutenue par Northoff 2012, en particulier, élargit le concept de cognition incarnée en défendant l’idée que les émotions sont constituées de la relation triadique environnement–corps–cerveau. Les données issues des recherches en neuro-imagerie sur les mécanismes neuronaux sous-tendant les émotions montrent ainsi que la relation entre l’environnement, le corps et le cerveau est constitutive de l’expérience subjective émotionnelle. De sorte que les différentes émotions ou expériences subjectives émotionnelles reflètent les différentes relations sujet–objet, c’est-à-dire les différentes relations au monde du sujet, dont les termes pour les désigner varient selon les cultures humaines. 39 Ce que le langage courant désigne par émotion » sont des ensembles de phénomènes comportementaux et expérientiels. Dans cet article, les noms d’émotions – joie, tristesse, peur, etc. – pourraient disparaître. Ce que ces noms du langage courant visent à indiquer est ici remplacé par les modalités et fonctions sous-jacentes. Cette approche permet de dépasser la controverse de la définition de l’émotion dans laquelle la psychologie s’est longtemps enlisée. Aucune définition ne pourra jamais inclure tous les exemplaires émotionnels, car il est impossible de fournir des descriptions uniformes complètes des exemplaires de tristesse », colère », peur », honte », et de leurs équivalents dans d’autres langages. Il n’est pas possible non plus de fournir des taxonomies exhaustives d’exemplaires discrets. C’est ce qu’ont notamment souligné Barrett 2006, Russell 2003 et Scherer 2005. Dans la présente approche du processus émotionnel, les notions de modalités ou de fonctions peuvent être appliquées à différents niveaux d’analyse, du social au neuronal en passant par le niveau interactionnel. 40 Reçu le 29 mai 2013. 41 Révision acceptée le 25 novembre 2013. Notes [1] Remerciements. Les auteurs tiennent à remercier les experts anonymes pour leurs précieux commentaires qui leur ont permis d’amender le texte original. Résumés Comment comprendre qu’un rituel transforme une statue de pierre en un dieu vivant, et comment envisager ce phénomène autrement que comme une croyance trompeuse ? Il faudrait tenter de saisir la logique paradoxale qui permet d’articuler dans un même objet ses déterminations matérielles et ses caractéristiques divines. En prenant au sérieux les analyses que les derniers philosophes néoplatoniciens ont menées de leurs propres pratiques théurgiques, il nous semble possible de dégager les linéaments d’une théorie de l’objet rituel qui remette le problème en perspective à partir de ses implications métaphysiques. How can one understand that a ritual may transform a stone statue into a living god, and see in this phenomenon something other than an erroneous belief? In order to do so, one must try to grasp the paradoxical logic that makes it possible to articulate through a single object both material determinations and divine features. By taking the analysis that the last Neoplatonists gave of their own theurgical practice seriously, it seems possible to lay the ground for a theory of the ritual object that raises the question anew, from the point of view of its metaphysical de page Texte intégral L’objet et le rituel 1Le court-métrage d’Alain Resnais et de Chris Marker daté de 1953, Les statues meurent aussi, apparaît comme une méditation sur ce qu’on pourrait appeler la vie et la mort des statues. Il interroge le destin des objets d’art africains dès lors qu’ils cessent d’appartenir à leur contexte religieux pour devenir des produits culturels. Le film s’ouvre sur cette assertion Quand les statues sont mortes, elles entrent dans l’art ». C’est-à-dire elles entrent au musée. Depuis les ready-made de Marcel Duchamp, les historiens de l’art se demandent comment un objet banal et quotidien, par exemple un urinoir, peut se transformer en œuvre d’art, par le simple fait qu’il pénètre l’espace propre du musée. Quel est ce dispositif mystérieux capable de transformer un objet en œuvre d’art par une simple opération de transfert ? C’est en quelque sorte l’opération inverse que Resnais et Marker mettent en évidence dans la muséification des objets d’art africains. Si le musée offre une nouvelle vie glorieuse aux objets techniques du monde occidental, il est pour les statues africaines un véritable cimetière, le lieu de consécration de leur mort. C’est en passant du monde du culte et de la religion à celui de l’art que les statues passent de la vie à la mort. 2Comment expliquer un tel passage ? Un objet est mort quand le regard vivant qui se posait sur lui a disparu ». Autrement dit, les statues meurent quand elles cessent d’être objets de culte et de fixer ou de manifester la présence des esprits et des dieux et qu’elles deviennent de purs objets de contemplation. Comme on avait pour le musée sa version esthétique, on aurait là la version ethnologique du esse est percipi. Ce serait les conditions perceptuelles, au sens large, d’un objet qui en détermineraient l’essence. Ainsi le contexte du monde de l’art européen transforme-t-il une statue vivante en une statue morte, une divinité en une œuvre d’art. 3L’idée paraît simple, mais comment comprendre la réciproque, qui veut que percevoir, c’est faire être ? C’est-à-dire qu’un certain usage rituel des objets les fait littéralement vivre, transforme une statue de pierre en un dieu vivant ? 1 Sur la télestique dans le néoplatonisme, voir Joseph Bidez, Note sur les mystères néoplatonicien ... 4Point n’est besoin pourtant d’exotisme pour rencontrer le problème du caractère vivant des objets rituels. Les religions antiques ont en effet abondamment pratiqué le rituel étonnant de l’animation des statues, que les Grecs appelaient télestique ». Si la pratique de la télestique semble appartenir à des cultes orientaux, égyptiens, chaldéens, voire iraniens, elle est largement attestée dans la culture grecque et s’est perpétuée jusque dans l’Antiquité tardive1. Elle consiste à conférer une âme à une statue en faisant descendre par des incantations et des rituels le divin dans l’objet qui le représente. Le traité hermétique Asclépius présente cependant la télestique comme une véritable production matérielle du divin. 2 Asclépius, 37-38, Corpus Hermeticum, t. II, éd. Nock, trad. André-Jean Festugière, Paris, Les ... Ce que nous avons dit de l’homme est déjà merveilleux, mais toutes ces merveilles ne valent pas celle-ci ce qui commande surtout l’admiration, c’est que l’homme a été rendu capable de découvrir la nature des dieux, et de la produire. Nos premiers ancêtres donc, après avoir gravement erré quant à la vraie doctrine sur les dieux – ils ne croyaient point en eux et ne se souciaient ni de culte ni de religion, – inventèrent l’art de faire des dieux ; puis, l’ayant trouvé, ils y attachèrent une vertu appropriée, qu’ils tiraient de la nature matérielle ; et, mêlant cette vertu à la substance des statues, comme ils ne pouvaient créer proprement des âmes, après avoir évoqué des âmes de démons ou d’anges, ils les introduisirent dans leurs idoles par des rites saints et divins, en sorte que ces idoles eussent le pouvoir de faire du bien et du mal. […]– Et de ces dieux qu’on nomme terrestres, ô Trismégiste, de quelle sorte est la propriété ?– Elle résulte, Asclépius, d’une composition d’herbes, de pierres et d’aromates qui contiennent en eux-mêmes une vertu occulte d’efficacité divine. Et, si l’on cherche à les réjouir par de nombreux sacrifices, des hymnes, des chants de louange, des concerts de sons très doux qui rappellent l’harmonie du ciel, c’est pour que cet élément céleste qui a été introduit dans l’idole par la pratique répétée de rites célestes puisse supporter joyeusement ce long séjour parmi les hommes. Voilà comment l’homme fabrique des dieux2. 3 Sur cette célèbre formule, voir Sarah Iles Johnston, Homo fictor deorum est Envisionning the Di ... 5Si la pratique consiste littéralement à joindre une âme à une composition matérielle particulière, elle est interprétée comme une fabrication humaine du divin homo est fictor deorum3. L’homme est un fabricant de dieux. Que signifie faire un dieu ? Est-ce simplement fabriquer une idole matérielle, une statue qui n’est que le réceptacle d’une puissance supérieure ? Ou bien en va-t-il d’une production d’ordre supérieur, pour ainsi dire ontologique, dans laquelle l’homme véritablement ferait les dieux ? 6Le problème est exposé sur un mode parodique chez Minucius Felix, qui, sous couvert de tourner en ridicule la télestique païenne et son caractère idolâtre, en expose toute l’ambiguïté et toute la subtilité 4 Minucius Felix, Octavius, XXIV, 8, éd. et trad. Jean Beaujeu, Paris, Les Belles Lettres, 1964, p. ... Qui peut donc douter que, si la foule adresse des prières et rend un culte public aux effigies consacrées de ces personnages, c’est parce que l’opinion, l’esprit des gens ignorants se laisse abuser par les grâces de l’art, éblouir par l’éclat de l’or, fasciner par le brillant de l’argent et la blancheur de l’ivoire ? Quiconque se représentera les instruments de torture et les machines qui œuvrent à façonner toute statue, rougira de craindre une matière dont s’est joué l’artiste pour en faire un dieu. En effet, un dieu de bois, qui peut être un fragment de bûches ou de cruche stérile, est suspendu, taillé, dégrossi, raboté ; un dieu de bronze ou d’argent provient bien souvent, comme cela fut le cas pour un roi d’Égypte, d’un immonde petit récipient, qui est fondu, battu à coup de maillet et façonné sur l’enclume ; un dieu de pierre est taillé, sculpté et poli par un homme corrompu, et d’ailleurs hoffmann eros aletheia pistisil est aussi insensible aux outrages de sa naissance que plus tard aux honneurs dont l’entoure votre vénération. On me dira peut-être que la pierre, le bois ou l’argent n’est pas encore un dieu. Quand donc celui-ci naît-il ? Voyez-le couler, forger, sculpter il n’est pas encore un dieu ; voyez-le souder, assembler, ériger il n’est pas encore un dieu ; voyez-le parer, consacrer, implorer alors enfin il est dieu, lorsqu’un homme l’a voulu tel et décidé comme tel4. 7Le texte semble distinguer trois moments de la production de la statue divine la fabrication, l’érection et la consécration ; mais ce n’est qu’avec le dernier que la statue devient véritablement un dieu. Une opposition claire apparaît entre la production matérielle et la production rituelle. Ce qu’on peut appeler à proprement parler fabrication du divin, ce n’est pas la production de la statue comme objet matériel, mais sa production symbolique et rituelle, qu’effectuent la parure et la prière. C’est performativement, pour ainsi dire, que la statue devient un dieu. 8Est-il possible de lire à rebrousse-poil le texte de Minucius Felix et de tenter de prendre au sérieux la distinction qu’il propose ? En s’en tenant à une lecture faible, on opposera la production matérielle de l’objet, la fabrication de la statue concrète, à la projection symbolique et performative sur elle de qualités divines, qui relève d’un phénomène de croyance. Si l’on accepte en revanche de donner un sens fort à la distinction, ce qui vient compléter la fabrication matérielle de l’objet n’est pas un supplément d’âme fictif mais un autre type de production qui, s’il ne fabrique rien à proprement parler, fait du divin. Il ne s’agira plus alors d’opposer, comme le fait Minucius Felix, une réalité objective et sa déformation par une perception subjective, la statue et ce qu’on croit qu’elle est, mais plutôt d’articuler deux niveaux d’objectivité, si l’on veut, matérielle et spirituelle, qui font exister la statue non seulement comme objet mais aussi comme dieu. 9Nous voudrions tenter de comprendre en quel sens l’activité rituelle qui entoure l’objet peut être considérée comme une activité productive. Dans le rite de consécration de la statue s’opère un basculement de point de vue la statue qui n’était qu’un tas de pierre devient une divinité vivante. Nous faisons l’hypothèse que ce basculement entre les deux perspectives ne doit pas être envisagé comme une simple différence subjective de point de vue, comme telle externe à l’objet, mais au contraire comme un court-circuit interne à l’objet lui-même, qui le scinde objectivement. L’idée que la distinction dépendrait du point de vue de celui qui perçoit l’objet n’est pas satisfaisante si l’on s’accorde aisément à dire que prêter une âme ou une qualité divine à une chose est une vue de l’esprit, accepte-t-on de dire que considérer une chose comme un pur agrégat de matière en est une aussi ? Il nous paraît plus éclairant de comprendre comment un objet peut se présenter aussi bien comme matière que comme esprit. 10Ce qui est difficile à saisir, c’est qu’un même objet soit à la fois un tas de pierre et un dieu vivant, que se superposent en lui ces deux dimensions qui en font l’unité profonde en même temps qu’elles le séparent de lui-même, le partagent entre ce qu’il est matériellement et substantiellement et ce qu’il est en tant que puissance divine. Il nous semble pourtant que seule une telle objectivité paradoxale permet de comprendre la télestique. En même temps, ce n’est que dans la pratique rituelle qu’une telle objectivité existe et se vérifie. Ce n’est en effet que par le moyen du rite que la statue devient un dieu. Il importe alors de comprendre en quel sens le rituel permet d’articuler les différentes dimensions de l’objet afin, selon la formule hermétique, de faire des dieux. 11Nous appellerons objet rituel l’objet qui est au centre du rituel, à la fois en tant que ce qui fait l’objet du culte la statue que l’on vénère et ce que le culte produit la statue transformée en dieu. Nous voudrions mettre en évidence dans le syntagme objet rituel la relation circulaire qui existe entre l’objet et le rituel, au sens où si c’est une détermination de l’objet lui-même qui rend possible le rituel, ce n’est que dans le rituel que cette détermination se déploie. Métaphysique de l’objet rituel 5 Pour une présentation générale de la théurgie, la référence reste l’ouvrage classique de Hans Lewy ... 12Nous nous attacherons au cas des pratiques théurgiques et des développements théoriques qu’elles ont suscité dans le dernier néoplatonisme à partir du ive siècle5. Le contraste entre le développement d’une philosophie extrêmement abstraite et subtile et l’attrait pour des formes archaïsantes et superstitieuses de paganisme, qui a longtemps étonné les historiens de la pensée, révèle ici toute sa force. Comment les raffinements métaphysiques du néoplatonisme ont-ils pu s’accommoder d’une pratique religieuse aussi grossière que celle de l’animation des statues ? Loin qu’il y ait une contradiction chez les néoplatoniciens entre la métaphysique et les usages religieux, il existe plutôt entre elles une affinité profonde, si bien que le néoplatonisme offre l’une des explications théoriques les plus élaborées et les plus pénétrantes des rituels télestiques. Plotin déjà semble avoir reconnu les pratiques télestiques comme une donnée culturelle irréfutable, sans toutefois leur accorder une place trop importante dans sa pensée. 6 Plotin, Énnéades, IV, 3 [27], 11 Difficultés relatives à l’âme I », trad. Émile Bréhier, Paris ... Les anciens sages qui ont voulu se rendre les dieux présents en construisant des temples et des statues, me paraissent avoir bien vu la nature de l’univers ; ils ont compris qu’il est toujours facile d’attirer l’âme universelle, mais qu’il est particulièrement aisé de la retenir, en construisant un objet disposé à subir son influence et à en recevoir la participation. Or la représentation imagée d’une chose est toujours disposée à subir l’influence de son modèle, elle est comme un miroir capable d’en saisir l’apparence. La nature, avec un art admirable, fait les choses à l’image des êtres dont elle possède les raisons ; ainsi est née chaque chose, raison intérieure à la matière, recevant une forme correspondante à une raison supérieure à la matière ; car la nature la met en contact avec la divinité d’après laquelle elle est engendrée, que l’âme universelle contemple, et d’après laquelle elle se dispose en créant la chose. Il est donc impossible qu’il n’y ait rien qui ne participe à cette divinité ; mais il est aussi impossible qu’elle descende ici-bas6. 13Pour Plotin, la magie pratique n’est qu’un cas des lois générales de sympathie qui gouvernent l’Univers. Si la magie est opérante, c’est parce que le monde est animé de part en part et que toutes ses parties communiquent et conspirent. La première magie, c’est la nature elle-même. En vertu de cette sympathie universelle, une parcelle de matière peut recevoir l’influence des dieux. 14Le rapport entre la statue et la divinité est celui d’une image à son modèle. S’il y a de toute évidence dans la relation de ressemblance bien plus qu’une simple analogie formelle, une sorte de connivence et de continuité entre les choses qui se ressemblent, on ne saurait toutefois en faire un vecteur de présence. Les choses qui se ressemblent ne se confondent pas et Plotin prend soin de préciser que la divinité ne descend pas dans la matière. 15Le contre-exemple plotinien permet de saisir l’ampleur du tournant effectué par Jamblique, qui, loin de se réduire à la simple adoption, sous l’influence des Oracles chaldaïques, de pratiques magico-religieuses orientales, consiste en une véritable révolution métaphysique. En effet, comme il fallait aussi que ce qui est sur terre ne fût nullement sans part à la communauté divine, la terre aussi a reçu une certaine part divine de celle-ci, capable d’offrir un espace pour accueillir les dieux. Cela, assurément, l’art théurgique l’a bien vu et ainsi découvre, selon le principe général de l’appropriation, les réceptacles qui conviennent à chacun des dieux aussi entrelace-t-il souvent pierres, herbes, êtres vivants, aromates et autres choses de ce genre, sacrées, achevées et spécifiquement divines, et ensuite réalise à partir de tout cela un réceptacle complètement achevé et pur. 7 Jamblique, Les mystères d’Égypte, Réponse d’Abamon à la Lettre de Porphyre à Anébon, trad. Michèle ... Car il ne faut pas rejeter toute la matière, mais seulement celle qui est étrangère aux dieux, il faut plutôt choisir celle qui leur est appropriée, dans la pensée qu’elle est capable de s’harmoniser à la construction de leurs demeures, à l’érection de leurs statues et à l’accomplissement sacré des sacrifices. Car, s’il en était autrement, pour les dieux terrestres ou les hommes qui habitent ici, il ne pourrait y avoir de participation à la réception des êtres supérieurs, si un tel fondement n’avait pas été préalablement établi. Il faut suivre les paroles secrètes qui disent que, par les spectacles bienheureux, une certaine matière est également offerte, venant des dieux. Celle-ci est d’une certaine manière connaturelle à ceux-là mêmes qui la donnent. Aussi, le sacrifice d’une matière éveille les dieux pour qu’ils se manifestent, les appelle aussitôt à descendre pour se laisser saisir, leur offre un espace de réception quand ils se présentent, et les montre parfaitement7. 8 Pour une étude détaillée de la place de la théurgie dans la philosophie de Jamblique, voir Gregory ... 16La confection des statues et leur animation ne sont pas de simples traits culturels empruntés à la religion des Chaldéens, mais le corrélat pratique d’une nouvelle conception de la matière8. Sous certaines conditions, la matière est connaturelle aux dieux, et à la limite, elle est elle-même divine. La théurgie est une véritable opération métaphysique en faisant descendre les dieux dans les statues, elle réveille dans la matière ses dispositions au divin, elle réunit le cosmos entier. Si la religion professée par Jamblique consiste en une série d’activités matérielles, c’est parce que les dieux sont aussi dans la matière et que, si le théurge désire s’unir à eux, il ne peut le faire sans prendre celle-ci en considération. Sans récuser le caractère transcendant du divin, Jamblique n’en jette pas moins, en faisant l’apologie de la théurgie, les bases de ce que nous nous risquerons à appeler une théologie matérialiste. 17C’est dans le fragment Sur l’art hiératique de Proclus que cette intuition a été poussée le plus loin. Dans un texte en apparence simple, qui s’apparente à un petit traité de magie pratique, Proclus livre une théorie de l’objet rituel qui présuppose largement la métaphysique qu’il développe dans ses ouvrages systématiques. 9 Proclus, Sur l’art hiératique, trad. Festugière, in La révélation d’Hermès Trismégiste, vol. ... De même que les dialecticiens de l’amour s’élèvent à partir des beautés sensibles jusqu’à ce qu’ils rencontrent le principe même unique de toute beauté et de tout intelligible, ainsi les initiateurs aux saints mystères, partant de la sympathie qui unit toutes les choses visibles entre elles et avec les puissances invisibles, et comprenant que tout est en tout, ont-ils fondé cette science hiératique, non sans s’émerveiller de voir dans les premiers termes des chaînes les termes les plus infimes et dans ces derniers les tout premiers, au ciel les choses terrestres dans leur cause et sous un mode céleste, ici-bas les choses célestes sous un mode propre à la terre. D’où vient en effet que l’héliotrope se meut en accord avec le Soleil, le sélénotrope avec la Lune, tous deux faisant cortège, dans la mesure de leurs forces, aux luminaires du Monde ?9 10 Fr. A 22 D-K, voir Aristote, De l’âme, I, 5, 411a 5-10. 18Le texte se présente comme une réflexion sur le thème tout à fait classique en magie de la sympathie universelle ». La confection de mélanges de différentes matières servant à remplir les statues creuses pour y loger des dieux, repose tout entière sur les propriétés magiques ou sympathiques des animaux, des végétaux et des minéraux. C’est parce que la matière et le divin, la terre et le ciel sont en sympathie qu’une activité magique est possible. Il ne s’agit toutefois pas d’utiliser les propriétés naturelles des choses, pas plus qu’il n’est question de tirer parti de leurs vertus surnaturelles ou occultes. Proclus entend montrer que, selon le mot de Thalès, tout est plein de dieux »10 et ce qui précisément l’intéresse dans les propriétés divines des choses, c’est qu’elles témoignent du mode de présence des dieux dans les choses, qu’elles en sont le signe secret. 11 Ibid., p. 135. Tout est donc plein de dieux, la terre est pleine de dieux célestes, le ciel de dieux supracélestes; chaque série procède, s’accroissant en nombre, jusqu’à ses termes derniers. En effet, ce qui existait dans l’unité avant toutes choses est manifesté dans tous les membres de la série. D’où les organisations des âmes, dépendantes celles-ci d’un dieu, celles-là d’un autre11. 19Les puissances divines sont fragmentées et réparties dans les choses. Il y a au cœur de chaque chose, confondue avec son intimité ou son individualité la plus propre, une étincelle divine. Cet indice qui ordonne la chose à un dieu, les néoplatoniciens lui donnent le nom technique de symbole sumbolon ou de signature sunthêma. 12 Proclus, Théologie platonicienne, II, 8, éd. et trad. Henri-Dominique Saffrey et Leendert Gerrit W ... Car, celui qui est cause de tout l’univers a ensemencé dans tous les êtres des marques de son absolue supériorité; par le moyen de ces marques, il a établi tous les êtres en référence à lui, et il est ineffablement présent à tous, bien qu’il transcende tout l’univers. Donc chaque être, en rentrant dans ce qu’il y a d’ineffable dans sa propre nature, découvre le symbole du Père de tout l’univers; tous les êtres par nature le vénèrent et, par le moyen de la marque mystique qui appartient à chacun, s’unissent à lui, en dépouillant leur propre nature et en mettant tout leur cœur à ne plus être que la marque de dieu et ne plus participer que de dieu, à cause du désir qu’ils ont de cette nature inconnaissable et de la Source du Bien […]12. 13 Traditionnellement la théorie des signatures se situe au croisement de la botanique, de la médecin ... 20La signature est l’indice d’une présence divine, non pas vecteur de signification mais d’efficacité13. C’est un symbole efficace, qui agit dans l’objet, le convertit au dieu qui le constitue. Il ne s’agit pas pour le théurge de l’interpréter mais d’opérer avec, de le faire agir et d’en libérer la puissance. La théurgie reconduit les choses à leur divinité. Cela suppose qu’elles se dépouillent de leurs déterminations naturelles la signature est précisément la marque dans l’objet de la séparation entre sa nature et sa divinité. 14 Proclus, Sur l’art hiératique, p. 135. D’où encore, par exemple, le grand nombre des animaux héliaques, tels que le lion et le coq, qui eux aussi participent au divin selon le rang qu’ils occupent. L’admirable, c’est comment, chez ces animaux, les moins pourvus en force et en taille se font craindre de ceux qui l’emportent sur ces deux points car le lion, dit-on, recule devant le coq. La raison n’en est pas à prendre dans les données des sens, mais dans une considération intellectuelle, c’est-à-dire une différence qui remonte aux causes elles-mêmes. C’est que, en vérité, la présence dans le coq des symboles héliaques a plus d’efficace. Il le montre bien par la conscience qu’il a du circuit du Soleil car il chante un hymne au lever de l’astre et quand l’astre se tourne vers les autres centres…14 15 C’est, nous semble-t-il, la signification profonde de la théorie proclienne des hénades. Leur fonc ... 21Si le lion est naturellement plus fort que le coq, toutefois la signature solaire est plus puissante dans le coq que dans le lion. C’est pourquoi le coq peut l’emporter sur le lion. Parallèlement à l’ordre naturel des choses, il existe un ordonnancement divin du monde, qui ne se superpose pas exactement à celui-là15. Si les êtres se distinguent les uns des autres par des caractéristiques formelles générales, ils se rapportent aussi les uns aux autres en fonction de propriétés divines plus particulières. Ils appartiennent à la fois à des classes ontologiques et à des ordres divins. La signature est précisément ce qui soustrait l’objet à ses déterminations naturelles ou essentielles, et l’ordonne à un mode d’existence proprement divin. 22Quel est ce mode d’existence non naturel et pour ainsi dire non ontologique des choses? On peut l’appeler symbolique, au sens précis du symbole dans la théurgie néoplatonicienne, ou encore rituel. Le rituel ne consiste pas simplement en une technique ou une activité humaine mais c’est une dimension des choses. Le lotus lui aussi manifeste son affinité avec le Soleil sa fleur est close avant l’apparition des rayons solaires, elle s’ouvre doucement quand le Soleil commence à se lever, et à mesure que l’astre monte au zénith, elle se déploie, puis de nouveau se replie lorsqu’il s’abaisse vers le couchant. Or quelle différence y a-t-il entre le mode humain de chanter le Soleil, en ouvrant ou fermant la bouche et les lèvres, et celui du lotus, qui déplie et replie ses pétales? Car ce sont là ses lèvres à lui, c’est là son chant naturel. 16 Proclus, Sur l’art hiératique, p. 134-135. Mais pourquoi parler des plantes, où subsiste encore quelque trace de vie générative? Ne voit-on pas les pierres elles-mêmes respirer en correspondance avec les effluves des astres? Ainsi l’hélite, par ses rayons à couleur d’or, imite les rayons du Soleil; la pierre qu’on nomme œil de Bel » et dont l’aspect ressemble aux prunelles des yeux émet du centre de sa prunelle une lumière brillante, ce qui fait dire qu’on devrait l’appeler œil du Soleil »; la sélénite change de forme et de mouvement en accord avec les changements de la Lune, et l’héliosélène est comme une image de la rencontre des deux luminaires, à la ressemblance des rencontres et des séparations qui se font au ciel16. 23S’il est possible d’invoquer une divinité, de la faire descendre dans une statue, c’est parce que la statue elle-même œuvre à faire venir en elle le divin. Pour le dire autrement, l’activité rituelle des hommes ne fait que doubler l’existence rituelle des choses. Toute chose a une vie rituelle propre les plantes et les pierres prient à leur façon. En décrivant le monde comme une grande prière cosmique, Proclus semble décliner la très belle théorie plotinienne de la contemplation. 17 Plotin, Énnéades, III, 8 [30], 8 De la nature, de la contemplation et de l’Un », trad. É. Bréh ... Avant d’aborder notre sujet sérieusement, si nous nous amusions à dire que tous les êtres désirent contempler et visent à cette fin, les êtres raisonnables comme les bêtes, et même les plantes et la terre qui les engendre; si nous ajoutions que tous ces êtres arrivent à cette fin autant qu’ils en sont capables et conformément à leur nature, mais qu’ils contemplent chacun à leur manière et atteignent tantôt des réalités, pourrait-on supporter pareil paradoxe? […] Sans doute ces vies sont des pensées de différentes espèces; il y a une pensée de la plante, une pensée de l’animal doué de sens, une pensée de l’être doué d’une âme; comment des pensées? Oui, puisque ce sont des raisons; toute vie est une pensée, mais une pensée plus ou moins obscure comme la vie elle-même17. 24De même que selon Plotin, la vraie vie est une contemplation et qu’il n’y a qu’une différence de degré entre l’activité contemplative de l’esprit pur et celle des plantes et des pierres, on pourrait dire avec Proclus que la vie est fondamentalement rituelle, à des degrés divers. 18 Proclus, Sur l’art hiératique, p. 134. Car tous les êtres prient selon le rang qu’ils occupent, ils chantent les chefs qui président à leur série tout entière, chacun louant à sa manière, spirituelle, rationnelle, physique ou sensible ainsi l’héliotrope se meut-il autant qu’il lui est facile de se mouvoir, et si l’on pouvait entendre comme il frappe l’air durant qu’il tourne sur sa tige, on se rendrait compte à ce bruit qu’il offre une sorte d’hymne au Roi, tel qu’une plante peut le chanter18. 19 Proclus, The Elements of Theology, éd. Dodds, Oxford, Clarendon Press, 1963, p. 38 nous trad ... 20 Il faudrait nuancer cette interprétation, en relisant par exemple la proposition 39 des Éléments d ... 25Le rituel est le processus par lequel chaque chose se convertit vers le principe divin dont elle procède et fait retour vers lui, comme la fleur héliotrope se tournant vers le soleil. L’existence est pensée dans le néoplatonisme comme un processus dynamique, comme un jeu entre l’origine et le retour. C’est ce qu’énonce la proposition 35 des Éléments de théologie Tout ce qui est causé demeure dans sa propre cause, procède d’elle et se convertit vers elle »19. En appliquant le modèle de la manence monè, de la procession proodos et de la conversion epistrophè à notre propos, on pourrait dire de façon schématique que les déterminations naturelles d’une chose sont ce par quoi elle se sépare de sa cause divine, la signature qu’elle porte en elle la marque de l’immanence du divin en elle et son activité rituelle sa façon de faire retour vers son origine divine20. 26Une autre signification de l’activité rituelle humaine semble se dégager de ces considérations. Ce que vise la théurgie, ce n’est pas un usage magique des propriétés des choses mais ce n’est pas non plus une projection sur les choses d’un imaginaire religieux. Pour échapper à cette alternative, le coup de force de Proclus est de dire que l’activité symbolique est immanente aux choses. Les choses ne sont pas des symboles des dieux elles sont divines par les symboles qui agissent en elles. La vie symbolique ne relève pas de l’anthropologie mais de la métaphysique. Les pratiques rituelles n’ajoutent pas une dimension symbolique aux choses mais visent au contraire à correspondre avec l’activité rituelle des choses elles-mêmes et à l’amplifier. C’est en ce sens qu’on peut dire que les choses se réalisent pleinement dans la pratique rituelle des hommes, qu’elles touchent plus parfaitement à leur divinité, et que donc les hommes font des dieux ». L’activité rituelle est productive dans la mesure où elle est une démiurgie symbolique en elle, les objets connaissent une deuxième genèse, qui n’est plus de l’ordre d’une production substantielle mais d’une reproduction symbolique. Le rituel théurgique, en actualisant la puissance symbolique des choses, en activant les signatures divines qui logent en leur cœur, produit les objets en tant que divins en les reproduisant symboliquement. Ce qui est en jeu dans la théurgie, c’est une réévocation de l’ordre du monde sous l’aspect de sa divinité. L’efficacité sans la croyance 27Nous souhaiterions faire le point, pour conclure, sur les difficultés que présente l’adoption d’un tel modèle en vue d’une analyse de la fonction de l’objet rituel, en particulier dans l’interprétation des pratiques télestiques. 28La première difficulté tient au statut du discours néoplatonicien lui-même. Le fait que les mêmes personnes qui ont pratiqué la théurgie l’aient aussi pensée pose sans aucun doute un problème épis­témologique majeur. Comment accepter comme valide une expli­cation qui est de l’ordre d’une théologie, voire d’une apologie? Peut-on prendre au sérieux les explications d’un phénomène religieux données par ceux-là mêmes qui y croient? 21 Platon, République, 509b. 29Nous avons essayé de montrer avec le modèle néoplatonicien que la transformation rituelle de l’objet n’était précisément pas une question de croyance. L’intuition théologique fondamentale du néoplatonisme, c’est que Dieu est, selon une formule bien connue, au-delà de l’être » epekeina tês ousias21. Cet axiome théologique a pour conséquence de situer le rapport au divin au-delà de toute appréhension subjective la divinité est indicible, inconnaissable, incompréhensible. C’est pourquoi le rapport rituel au divin ne saurait se réduire à une forme de connaissance ou de croyance. 22 Jamblique, Les mystères d’Égypte, p. 71-72. Et ce n’est pas non plus la pensée qui unit les théurges aux dieux. Sinon, qu’est-ce qui empêcherait ceux qui pratiquent la philosophie contemplative d’obtenir l’union théurgique avec les dieux? En réalité, la vérité n’est pas ainsi c’est l’accomplissement des actes ineffables mis en œuvre au-delà de toute intellection comme il convient au divin et la puissance des symboles indicibles pensés seulement par les dieux, qui établissent l’union théurgique. C’est pourquoi ce n’est pas en utilisant l’intellect que nous accomplissons ces œuvres. Car ainsi, leur mise en œuvre serait intellectuelle et dépendrait de nous. Aucune de ces deux propositions n’est vraie. En effet, sans que nous n’utilisions notre intellect, ce sont les symboles eux-mêmes qui accomplissent à partir d’eux-mêmes leur œuvre propre, et la puissance ineffable des dieux vers lesquels ils remontent reconnaît par elle-même ses propres images, sans être éveillée par notre intellection22. 23 Sur la notion d’efficacité symbolique, nous renvoyons à l’étude classique de Lévi-Strauss, L’eff ... 30L’intellect est mis hors-circuit dans l’effectuation des rites théurgiques. Ceux-ci ne nécessitent aucune composante subjective pour fonctionner ce sont les choses elles-mêmes qui agissent, le divin qui se reconnaît dans ses symboles. C’est sur la base de cet argument que les derniers néoplatoniciens ont promu la théurgie au-delà de la contemplation philosophique elle-même, faisant une part plus belle à la pratique qu’à la théorie. Autrement dit, il n’y a pas besoin de croire pour que cela marche. Jamblique formule l’une des premières théories de ce que l’on appellera plus tard l’efficacité symbolique23. 31C’est précisément là qu’apparaît la seconde difficulté. Pour mettre hors circuit la dimension subjective du rite, on le fait intégralement passer du côté des objets, en considérant le rituel comme une modalité de l’existence même des choses. N’est-ce pas présupposer ce que l’on cherche à démontrer? 32Encore une fois, l’idée de la transcendance absolue du divin interdit toute interprétation vulgaire des pratiques télestiques. Il faut reformuler la question comment une statue peut-elle être divine? de la façon suivante comment ce qui est absolument transcendant peut-il se retrouver dans les choses? C’est à ce problème épineux que la théorie des signatures apporte une solution géniale. La signature d’une chose est précisément ce qui la soustrait à ses déterminations naturelles pour la restituer à sa dimension divine. En tant que science des signatures, la théurgie manifeste la présence des dieux sur un mode non pas substantiel mais purement rituel et opératif. C’est symboliquement qu’une statue est un dieu ce qui ne signifie pas de façon irréelle, mais de façon inessentielle. En ce sens, les pratiques théurgiques ne sont résolument pas une excroissance pathologique du dernier néoplatonisme mais témoignent au contraire de sa cohérence profonde. 33La plus grande difficulté tient sans doute au changement de paradigme métaphysique qu’implique l’adoption d’une telle théorie. Penser l’objet rituel – au sens de cet objet paradoxal qui est autre chose que ce qu’il est – suppose deux choses. D’une part de penser l’objet non pas selon ses déterminations essentielles ou matérielles mais selon ses rapports dynamiques. D’autre part de penser la corrélation entre une activité rituelle et le type de qualités qu’elle confère aux objets qu’elle englobe. Le coup de génie de Proclus est de parvenir à articuler ces deux perspectives ensemble, en envisageant le rituel comme la vie secrète des choses mêmes. 24 La notion de fétichisme » a été introduite par Charles de Brosses en 1760 dans le célèbre essai ... 25 Que ce soit dans l’associationnisme d’idées chez Tylor et Frazer, dans la mentalité primitive chez ... 26 Notons, pour nuancer notre affirmation, que le concept de croyance pistis n’est pas absent des t ... 34En appelant fétichisme » la croyance illusoire des Africains et des primitifs » dans le caractère divin, vivant ou animé de certains objets, la culture occidentale moderne a tenté de contourner un problème qui n’a cessé de la hanter et qu’elle est incapable de résoudre parce qu’elle s’est privée des moyens de le poser correctement24. L’idée qu’un objet puisse être animé ne nous est plus familière et nous ne pouvons que l’envisager comme une croyance superstitieuse. C’est pourquoi l’anthropologie moderne ne peut que se heurter à des questions insolubles concernant le rapport de la croyance et de l’efficacité des rites25. Là où toutefois la religion ne relève pas d’une pure expérience subjective, d’un rapport de l’esprit à lui-même, mais se déploie dans un monde de choses, se fait commerce avec des objets, le concept de croyance n’a à peu près aucune valeur heuristique26. 27 J’adresse mes remerciements, pour ses précieuses remarques de lecture, à M. Constantin Macris Cen ... 35Si l’on fait disparaître la difficulté, ce n’est pas en évitant le problème, mais en levant les obstacles à sa bonne formulation plutôt que de chercher à comprendre comment un rituel peut transformer un objet en une divinité, on cherche à comprendre ce qu’est un objet pour qu’il puisse cristalliser une relation rituelle au divin. C’est ce qu’ont fait les néoplatoniciens au moment historique précis où leur univers spirituel menaçait de s’effondrer en même temps que l’Empire. Nous pensons qu’ils se sont très bien compris eux-mêmes, mieux sans doute que nous ne les comprenons. Ils ne croyaient pas que les statues étaient des dieux, au contraire, ils savaient très bien que les dieux étaient très loin, mais ils savaient aussi comment les faire revenir avec un peu d’herbe et un peu de pierre27. Haut de page Notes 1 Sur la télestique dans le néoplatonisme, voir Joseph Bidez, Note sur les mystères néoplatoniciens », Revue belge de philologie et d’histoire, VII, 1928, p. 1477-1481 ; Eric Robertson Dodds, Theurgy and its relationship to Neoplatonism », The Journal of Roman Studies, XXXVII, 1947, p. 57-69 repris dans The Greeks and the Irrational, Berkeley, University of California Press, 1951 ; Pierre Boyancé, Théurgie et télestique néoplatoniciennes », Revue de l’histoire des religions, t. 147 n° 2, 1955, p. 189-209 ; Jean Bouffartigue, Les statues divines du paganisme objets artificiels ou surnaturels ? », Objets sacrés, objets magiques de l’Antiquité au Moyen-âge, éd. Charles Delattre, Themam, CNRS, 2007, p. 53-64; Sarah Iles Johnston, Animating Statues A Case Study in Ritual », Arethusa, 2008, p. 445-478; Jan N. Bremmer, The Agency of Greek and Roman Statues from Homer to Constantine », Opuscula, Annual of the Swedish Institutes at Athens and Rome, 6, 2013, p. 7-21. 2 Asclépius, 37-38, Corpus Hermeticum, t. II, éd. Nock, trad. André-Jean Festugière, Paris, Les Belles Lettres, 1946, p. 347-349. 3 Sur cette célèbre formule, voir Sarah Iles Johnston, Homo fictor deorum est Envisionning the Divine in Late Antique Divinatory Spells », in J. Bremmer and A. Erskine eds., The Gods of Ancient Greece, Edinburgh University Press, 2010, p. 406-21. 4 Minucius Felix, Octavius, XXIV, 8, éd. et trad. Jean Beaujeu, Paris, Les Belles Lettres, 1964, p. 38-39. 5 Pour une présentation générale de la théurgie, la référence reste l’ouvrage classique de Hans Lewy, Chaldean Oracles and Theurgy, Mysticism, Magic and Platonism in the Later Roman Empire, nouvelle éd. Michel Tardieu, Paris, Brepols, Études Augustiniennes, 77 », 1978 ; au sujet de la théurgie dans les milieux néoplatoniciens, voir l’étude de Carine Van Liefferinge, La Théurgie, des Oracles Chaldaïques à Proclus, Liège, Centre International d’Étude de la Religion Grecque Antique, Kernos, Suppl. 9 », 1999. Pour une tentative de relativisation des sources néoplatoniciennes, voir Ilinca Tanaseanu, Theurgy in Late Antiquity The Invention of a Ritual Tradition, Göttingen Vandenhoech & Ruprecht, 2013. 6 Plotin, Énnéades, IV, 3 [27], 11 Difficultés relatives à l’âme I », trad. Émile Bréhier, Paris, Les Belles Lettres, 1927, p 78. 7 Jamblique, Les mystères d’Égypte, Réponse d’Abamon à la Lettre de Porphyre à Anébon, trad. Michèle Broze et Carine Van Liefferinge, Bruxelles, Ousia, 2009, p. 136-137. Nous ne pouvons que signaler la nouvelle édition et traduction du texte, parue entre-temps, aux éditions de Belles Lettres, Réponse à Porphyre, éd. et trad. Saffrey et Segonds, avec la collaboration de A. Lecerf, Paris, Les Belles Lettres, 2013. 8 Pour une étude détaillée de la place de la théurgie dans la philosophie de Jamblique, voir Gregory Shaw, Theurgy and the Soul the neoplatonism of Iamblichus, University Park, Pennsylvania State University Press, 1995. 9 Proclus, Sur l’art hiératique, trad. Festugière, in La révélation d’Hermès Trismégiste, vol. 1, Paris, Les Belles Lettres, 2006 1944, p. 134. 10 Fr. A 22 D-K, voir Aristote, De l’âme, I, 5, 411a 5-10. 11 Ibid., p. 135. 12 Proclus, Théologie platonicienne, II, 8, éd. et trad. Henri-Dominique Saffrey et Leendert Gerrit Westerink, Paris, Les Belles Lettres, 1974, p. 56. 13 Traditionnellement la théorie des signatures se situe au croisement de la botanique, de la médecine, de l’alchimie et de la magie, et procède de l’idée que la ressemblance ou la similitude entre les choses permet leur action les unes sur les autres, en particulier en ce qui concerne le rapport entre la morphologie des plantes et leurs vertus curatives. Voir D. Ball-Simon et P. Daszkiewicz, L’héritage oublié des signes de la nature, La loi des signatures, Paris, Les deux océans, 1999. La tradition médicale qui va de Théophraste à Paracelse donne lieu, chez Jacob Boehme, à une théorie générale de la création, cf. De la signature des choses, trad. P. Deghaye, Paris, Grasset, 1995. Concernant le mode de signification particulier de la signature, en rapport avec les notions de ressemblance et d’efficacité, voir Michel Foucault, Les mots et les choses, ch. II, II Les signatures », Paris, Éditions Gallimard, 1966, p. 40-45 et Giorgio Agamben, Théorie des signatures », Signatura rerum. Sur la méthode, trad. Joël Gayraud, Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 2008, p. 37-91. Nous traduisons sunthèma par signature » en raison de la proximité entre la doctrine néoplatonicienne de la théurgie et la théorie médicale et magique des signatures, dans lesquelles les signes visibles du monde renvoient aux puissances invisibles avec lesquelles ils permettent d’opérer, comme de véritables mots de passe » institués par les dieux. 14 Proclus, Sur l’art hiératique, p. 135. 15 C’est, nous semble-t-il, la signification profonde de la théorie proclienne des hénades. Leur fonction ne se limite pas à combler l’écart entre l’un et l’être, mais donne à penser une causalité qui n’est pas celle des formes intelligibles. Bien que Proclus ne soit jamais tout à fait explicite à ce propos, il y a une différence fondamentale entre l’hénadologie et l’ontologie, dont les commentateurs n’ont pas suffisamment rendu compte. À ce sujet on se reportera aux remarques de Radek Chlup, Proclus. An introduction, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, en particulier p. 112-136, ainsi qu’à la thèse de Edward P. Butler, The Metaphysics of Polytheism in Proclus, New School University, avril 2003. 16 Proclus, Sur l’art hiératique, p. 134-135. 17 Plotin, Énnéades, III, 8 [30], 8 De la nature, de la contemplation et de l’Un », trad. É. Bréhier, Paris, Les Belles Lettres, 1999, p. 277-279. 18 Proclus, Sur l’art hiératique, p. 134. 19 Proclus, The Elements of Theology, éd. Dodds, Oxford, Clarendon Press, 1963, p. 38 nous traduisons. 20 Il faudrait nuancer cette interprétation, en relisant par exemple la proposition 39 des Éléments de théologie, dans laquelle il apparaît clairement que la conversion peut s’effectuer selon l’être, la vie ou la connaissance, c’est-à-dire selon la nature propre des différentes classes d’êtres. La question est au fond de savoir si l’hénadologie ne permettrait pas, dans une certaine mesure, de court-circuiter l’ontologie et de mettre en évidence un léger décalage entre les différentes causalités à l’œuvre dans la procession et la conversion des êtres. 21 Platon, République, 509b. 22 Jamblique, Les mystères d’Égypte, p. 71-72. 23 Sur la notion d’efficacité symbolique, nous renvoyons à l’étude classique de Lévi-Strauss, L’efficacité symbolique », in Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, p. 213-234 initialement paru dans la Revue de l’histoire des religions, t. 135, n° 1, 1949, p. 5-27, qui souligne la dimension inconsciente » de l’efficacité rituelle et rapproche par ce biais l’activité chamanique de la pratique psychanalytique. 24 La notion de fétichisme » a été introduite par Charles de Brosses en 1760 dans le célèbre essai Du culte des dieux fétiches et elle a connu une immense fortune dans les sciences humaines jusqu’à aujourd’hui. Sur l’histoire de la notion, on lira William Pietz, Le fétiche généalogie d’un problème, trad. Aude Pivin, Paris, Kargo & l’Éclat, 2005. 25 Que ce soit dans l’associationnisme d’idées chez Tylor et Frazer, dans la mentalité primitive chez Lévy-Bruhl, dans le fait social chez Durkheim ou Mauss, dans la fonction symbolique chez Lévi-Strauss, la question de l’efficacité nous semble toujours être réduite à celle de la croyance, plus ou moins consciente, en cette efficacité, c’est-à-dire rapportée à une dimension strictement humaine, qu’elle soit psychologique, sociale ou structurale. 26 Notons, pour nuancer notre affirmation, que le concept de croyance pistis n’est pas absent des théologies chaldaïques et des théories néoplatoniciennes. Il convient toutefois de préciser les choses en soulignant d’une part, que la pistis ne correspond pas à notre idée moderne de croyance, mais consiste en une puissance divine plus qu’en une disposition subjective, et d’autre part, que les néoplatoniciens eux-mêmes opposent une idée supra-rationnelle de la foi comme union et contact avec le divin à la simple croyance comme forme inférieure, voire irrationnelle, de connaissance. Quand Proclus lie explicitement la pistis à la puissance théurgique, ce n’est pas tant pour rapporter l’efficacité rituelle à une faculté subjective que pour signaler son caractère supra-rationnel et transcendant voir Théologie platonicienne, I, 25, éd. et trad. Henri-Dominique Saffrey et Leendert Gerrit Westerink, Paris, Les Belles Lettres, 1968, p. 109-113. Sur l’élaboration de la notion de croyance dans le néoplatonisme, voir Philippe Hoffmann, La triade chaldaïque érôs, alètheia, pistis de Proclus à Simplicius », in Segonds – C. Steel éd., Proclus et la Théologie platonicienne. Actes du Colloque International de Louvain 13-16 mai 1998 en l’honneur de Saffrey et Westerink†, Leuven-Paris, 2000, p. 459-489 ; Id., Erôs, Alètheia, Pistis… et Elpis tétrade chaldaïque, triade néoplatonicienne fr. 46 des Places, p. 26 Kroll », in H. Seng – M. Tardieu ed., Die Chaldaeischen Orakel Kontext – Interpretation – Rezeption, Heidelberg 2010, p. 255-324. 27 J’adresse mes remerciements, pour ses précieuses remarques de lecture, à M. Constantin Macris Centre national de la recherche scientifique/Laboratoire d’études sur les Monothéismes – Centre d’études des religions du Livre.Haut de page Pour citer cet article Référence papier Ghislain Casas, Les statues vivent aussi. Théorie néoplatonicienne de l’objet rituel », Revue de l’histoire des religions, 4 2014, 663-679. Référence électronique Ghislain Casas, Les statues vivent aussi. Théorie néoplatonicienne de l’objet rituel », Revue de l’histoire des religions [En ligne], 4 2014, mis en ligne le 01 décembre 2017, consulté le 23 août 2022. URL ; DOI Haut de page Auteur Ghislain Casas Groupe d’Anthropologie Scolastique GAS, ParisLaboratoire d’étude sur les Monothéismes LEM, de page ÉnoncéLa raison s'oppose-t-elle à toute forme de croyance ? CorrigéIntroductionCroire, c'est étymologiquement faire confiance à », c'est-à-dire ajouter foi ». Ainsi, croire quelqu'un, c'est penser que ce qu'il dit est vrai, sans pourtant en avoir la preuve ; croire en un Dieu, ce n'est pas savoir que ce Dieu existe en ce cas il ne s'agirait plus de croyance, précisément, mais être intimement convaincu de son existence, même si cette dernière ne devait être démontrée par rien. Or, la raison nous recommande de ne rien tenir pour vrai, dont on ne puisse démontrer la vérité ; alors, la raison s'oppose-t-elle à toute forme de croyance ? Le problème est particulièrement aigu dans le cas des croyances religieuses croire en une religion, en effet, c'est accepter en sa créance des articles de foi qui non seulement semblent ne pas pouvoir être démontrés, mais qui vont à l'encontre de la logique même de la démonstration. Ainsi, être chrétien, c'est croire en la Sainte Trinité ; or, comment un être pourrait-il être à la fois triple et un ? C'est aussi croire que le Christ était à la fois homme et fils de Dieu cela semble contradictoire, cela semble absurde. Aussi bien dans son fondement accorder sa confiance sans preuves que dans son détail les articles de foi, la croyance religieuse semble réclamer de nous que nous suspendions l'usage de notre raison il faudrait en somme accepter pour vrai ce qui est manifestement aberrant. Mais ne peut-on, au contraire, penser qu'il y a des choses qui excèdent les pouvoirs de notre raison, qu'il serait vaniteux de penser que ce qui semble absurde pour nous l'est en soi ? En d'autres termes, ne serait-il pas plus raisonnable de renoncer à ériger la raison humaine en juge de toutes choses, en lui reconnaissant ses propres limites ? Et réciproquement, ne peut-on penser qu'une forme de croyance religieuse puisse se maintenir dans les limites de la raison ? Peut-être alors la contradiction entre la raison et la croyance n'est-elle qu'apparente ; mais en ce cas, il nous faudra démontrer que ce qui excède la raison n'est pas nécessairement contraire à la L'articulation de la foi et de la raison1. Il faut reconnaître les limites de la raison humaineFaut-il admettre comme allant de soi la contradiction entre la croyance et la raison ? La raison ne peut-elle, à l'évidence, que prouver l'absurdité de la foi, et la foi réclame-t-elle indubitablement que nous abandonnions là toute rationalité ? Il existe, cela n'est guère douteux, des croyances absurdes celles qui portent sur des objets de savoir et qui viennent contredire des démonstrations fermement établies. Je puis bien croire que la Lune est habitée, et être prêt à en mettre ma main au feu, ma sincérité ne fait rien à l'affaire une telle croyance vient contredire l'ordre des raisons, elle n'a pas grand sens, et n'a pour se justifier que la force de ma conviction subjective. Mais précisément la foi religieuse, quant à elle, n'est pas absurde, en ceci que la raison peut produire un discours rationnel à son revient à saint Thomas d'Aquin d'avoir voulu articuler ce que le sens commun oppose la croyance religieuse ne réclame pas de nous l'ignorance, et la raison ne parle pas contre la Révélation. Selon saint Thomas, en effet, rien dans la religion révélée c'est-à-dire dans la Bible comme parole de Dieu transmise aux hommes ne vient contredire la raison pour preuve, le théologien peut raisonner à partir des articles de foi – si la Révélation était absurde, une théologie rationnelle serait impossible, et tel n'est justement pas le cas. Cependant, si les articles de foi ne sont pas purement et simplement irrationnels, ils excèdent toutefois les pouvoirs de compréhension de la raison humaine. Mais ce qui n'est pas intelligible pour nous n'est pas inintelligible en soi si nous ne comprenons pas tout, la Révélation est pour Dieu l'évidence même. Et précisément, si c'est Dieu lui-même qui a mis la raison en l'homme, alors la religion ne peut pas nous commander d'en suspendre l'usage exiger de nous ce qu'on nomme la foi du charbonnier » lequel figure celui qui croit sans avoir des raisons de croire, ce serait, en fait, aller à l'encontre de la bonté des œuvres de Dieu. Le croyant doit donc faire usage de sa raison, tout en reconnaissant qu'elle est limitée et qu'elle ne peut pas tout Il faut démontrer autant que faire se peut les articles de la foiLe croyant devra, par conséquent, chercher à démontrer ce qui est démontrable, et accepter que tout ne le soit pas, parce qu'il est un être fini et que son pouvoir de compréhension est également fini. Dans son infinie bonté, le Créateur nous a révélé dans le texte saint des vérités que nous n'aurions pas pu saisir par nos seules forces pour saint Thomas d'Aquin donc, la foi éclaire la raison autant que la raison éclaire la foi. Ainsi, s'il reconnaît qu'il y a bien des mystères de la foi », c'est-à-dire des propositions que notre raison ne peut démontrer, saint Thomas entend en revanche indiquer des voies » qui permettent à cette même raison de poser l'existence de Dieu. Il ne s'agit pas à proprement parler de démonstrations, mais d'un cheminement où rien n'est contraire à ce que notre raison peut légitimement accepter. Ainsi, cette dernière peut admettre que tout ce qui est n'est que du possible, qui aurait pu ne pas être il n'y a rien dans le monde, qui soit absolument nécessaire, parce que ce monde lui-même aurait pu ne pas être. Or, le possible ne peut de lui-même passer au réel, et cela également la raison peut le reconnaître sans se contredire il faut donc qu'il y ait un être nécessaire, qui soit cause de la réalisation du possible, c'est-à-dire de son passage à l' Thomas donne ainsi cinq voies différentes que peut prendre la raison, et qui l'amèneront toutes à comprendre que l'existence de Dieu n'est pas irrationnelle. La difficulté, c'est que ces chemins reposent tous, à des degrés divers, sur des présupposés eux-mêmes indémontrés ou sur des circularités logiques par exemple ici sur la présupposition que le monde aurait pu ne pas être. Mais alors, si les voies de la démonstration ne satisfont en fait pas pleinement à l'exigence rationnelle, faudra-t-il aller contre saint Thomas et admettre une bonne fois que nous n'avons aucune raison de croire, bref, que la croyance échappe au domaine de la raison ? Est-il rationnel alors de soutenir que je crois sans avoir d'autre raison de croire, que la confiance que j'accorde à la Révélation ? Mais que vaut cette confiance, si elle ne repose sur rien d'objectif, et en quoi diffère-t-elle alors de celui qui croit sans raison aucune que la Lune est habitée ?II. De l'impossibilité d'une preuve de l'existence de Dieu aux postulats de la raison1. Toute preuve de l'existence de Dieu est impossibleC'est Kant, dans la Critique de la raison pure, qui le premier a montré pourquoi aucune preuve de l'existence de Dieu ne pourrait jamais nous être donnée. Certes, je puis bien avoir un concept de Dieu ; mais je ne peux jamais déduire l'existence du seul concept – pour reprendre un exemple célèbre, le concept d'un billet de banque dans ma poche est exactement le même, que le billet y soit ou pas. Pour être assuré qu'un objet réel correspond à mon concept, que donc ce concept n'est pas une forme vide, il faut un contenu intuitif seule la perception peut m'apporter la preuve qu'il existe bien quelque chose qui correspond dans le réel au concept que j'ai dans mon entendement. Or, percevoir, c'est toujours et nécessairement percevoir dans le temps et dans l'espace tous les objets perçus sont situés à un point de l'espace et du temps ; mais Dieu, dans la définition même que j'en ai, est un être éternel il est hors du temps et ubiquitaire il n'est d'aucun point de l'espace. Par définition donc, je ne pourrai jamais percevoir Dieu ; je n'aurai alors jamais de contenu intuitif pour remplir le concept que je possède. D'où la conclusion que Kant en tire on peut certes penser à l'existence de Dieu, mais on ne pourra jamais la connaître ; en d'autres termes, on ne peut, sans contradiction, espérer en faire un objet de savoir – c'est-à-dire nous ne pourrons jamais la est alors le point capital si nous n'aurons jamais aucune preuve rationnellement admissible de l'existence de Dieu, alors les articles de la foi ne sont pas les objets d'un savoir possible, et voilà qui suffit à distinguer la croyance religieuse des autres formes de convictions subjectives. Celui qui croit qu'il existe d'autres planètes habitées dans l'univers n'en sait rien nous n'en avons à présent aucune preuve objective ; mais cette absence de preuve est une absence de fait, et non de droit une planète, fût-elle lointaine, est dans le temps et dans l'espace, elle peut être l'objet d'une intuition sensible, c'est-à-dire d'une perception possible. La connaissance progresse, ce qui était une simple croyance peut devenir un savoir à présent et tel n'était pas le cas à l'époque de Kant, nous savons que ni la Lune, ni Mars ne sont habitées. Il en va tout autrement de la foi religieuse elle porte sur des objets qui, par définition, ne seront jamais des objets de savoir, en sorte qu'il faut selon Kant distinguer l'opinion objet d'un savoir possible et la foi qui échappe à tout savoir. 2. Refus de la position sceptiqueLa croyance n'est donc pas un concept univoque il existe des modalités distinctes de la conviction. Mais alors, s'il est absurde de persister à croire ce que la raison a démontré comme étant faux, que faire de la foi religieuse, où la raison est impuissante à démontrer quoi que ce soit ? Faut-il reconnaître que la croyance en un Dieu est dénuée de tout fondement rationnel et que la raison doit nous contraindre à ne plus y croire ? Non pas la raison humaine n'est pas seulement impuissante à démontrer l'existence de Dieu, elle est tout autant incapable de démontrer son inexistence, en sorte qu'il n'est pas plus ou pas moins rationnel d'affirmer que Dieu existe, que d'affirmer qu'il n'existe pas. Dans les deux cas, il s'agit de foi et non de connaissance ; ces croyances ne sont donc pas plus contraires à la raison l'une que l'autre, pourvu seulement qu'elles demeurent ce qu'elles sont – non des savoirs, mais des croyances qui, comme telles, ont conscience de l'insuffisance de leurs fondements. Pour ne pas être contraire à la raison, la croyance religieuse doit donc demeurer seulement ce qu'elle est, une foi que rien ne vient démontrer ; c'est quand elle fait sienne l'orgueilleuse prétention d'une certitude apodictique » c'est-à-dire d'un savoir nécessairement vrai qu'elle va à l'encontre de ce que la raison peut pur point de vue théorique, donc et ici théorique signifie tout ce qui se rapporte à la connaissance », les grandes questions de la foi religieuse la croyance en l'existence d'un Dieu, en l'immortalité de l'âme sont purement et simplement indécidables, et le demeureront à jamais. La croyance excède entièrement la raison, au sens où la raison est impuissante à prendre parti pour, ou contre elle. Le plus raisonnable serait-il alors d'adopter une position sceptique, en affirmant que rien ne venant démontrer l'existence de Dieu, non plus que son inexistence, il serait sage de suspendre notre jugement, en reconnaissant que nous n'en savons rien et n'en pouvons rien savoir ? Du point de vue théorique, donc, ce scepticisme semble la seule position rationnellement admissible puisque nous n'en saurons jamais rien, autant suspendre notre jugement et réputer une bonne fois pour toutes les questions que pose la foi comme étant indécidables. Toutefois, ce scepticisme suppose que le seul usage possible de la raison, c'est la connaissance – en termes kantiens que l'intérêt théorique fait le tout de l'intérêt de la raison. Or, ce que Kant va montrer, c'est justement que tel n'est pas le Les postulats de la raison pure pratiqueEn plus de l'intérêt théorique qui se résume en une question Que puis-je savoir ? », la raison est en effet animée d'un intérêt pratique » où la question devient Que dois-je faire ? ». Or, ce que nous dit notre raison, c'est que nous devons faire notre devoir, et d'abord en traitant toujours autrui comme une fin en soi, et non comme un moyen pour nous ce que la loi morale commande, c'est de ne pas se servir d'autrui pour satisfaire nos désirs ; en d'autres termes, un acte sera moral s'il peut être voulu par tout être raisonnable sans contradiction aucune. Certes, ma sensibilité m'ouvre au plaisir et à la peine il n'y a de plaisir ou de souffrance que sensibles ; mais je ne suis pas un animal, je ne suis pas qu'un être de sensibilité j'ai une raison, laquelle me commande de faire mon devoir, même si je n'en ai pas envie, même si ce devoir compromet mon bonheur ici-bas. Et tel est le point tout dans l'expérience atteste qu'en ce monde, l'union du bonheur et de la moralité est impossible. Comme l'affirme Kant, l'histoire montre assez qu'ici-bas, les justes sont punis, et que triomphent ceux qui ont su ne pas s'embarrasser de trop de scrupules. L'exemple kantien est celui de cet homme qui refuse de faire un faux témoignage pour accuser un innocent, alors que ce mensonge lui est ordonné par le Prince parce qu'il n'a pas voulu être injuste, et parjure, il finira condamné à conséquent, il semble bien y avoir une contradiction entre ce que la raison ordonne fais ton devoir quel qu'en soit le prix et notre légitime aspiration au bonheur – car s'il est indigne d'un être raisonnable d'ignorer son devoir au nom de son désir d'être heureux, il serait désespérant pour un être fini et sensible donc ouvert au plaisir et à la peine de sacrifier son bonheur au commandement moral. Ainsi donc, celui qui au nom de la défense de son bonheur accepte de ne pas faire son devoir, celui-là s'avère immoral et indigne de ce bonheur même ; et celui qui fait son devoir malgré tout se montrera digne d'un bonheur… qu'il aura pourtant sacrifié ! Il y a bien là, et à l'évidence, une contradiction. Cette contradiction, Kant la résout par ce qu'il nomme les postulats de la raison pure pratique » il faut faire son devoir envers et contre tout, même au prix du malheur ; et il faut espérer qu'un Dieu juste et bon récompensera ailleurs et plus tard celui qui a fait son devoir, en lui accordant le bonheur dont il s'est montré digne. Ni l'existence de Dieu, ni l'immortalité de l'âme ne sont démontrées par la raison théorique celle qui se préoccupe du savoir ; mais elles deviennent des exigences de la raison pratique, c'est-à-dire des postulats. Rien ne permet de dire, du point de vue théorique, que Dieu existe ou qu'il n'existe pas ; mais si nous posons qu'il n'existe pas, alors nous serons amenés à désespérer et à ne plus vouloir faire notre devoir. ConclusionTelle est, du moins, la conclusion posée par Kant si la raison théorique ne pourra jamais démontrer l'existence de Dieu, la raison pratique l'exige et la postule. Croire, ce n'est donc pas renoncer à l'usage de la raison, à condition que cette croyance ait été épurée de tous les préjugés dogmatiques croire, c'est savoir qu'on ne sait pas, mais conserver l'espérance que le juste sera un jour récompensé de n'avoir pas abdiqué l'exigence de la droiture et de la justice. La croyance religieuse est donc conforme à la raison, quand elle prend la forme d'une espérance je ne sais pas s'il existe un Dieu juste et bon qui récompensera ailleurs et plus tard les efforts faits ici et maintenant par l'homme vertueux ; je ne le sais pas et je n'en saurai jamais rien, mais il n'est pas absurde de l'espérer – davantage même un tel espoir est conforme à la raison au point d'être nécessaire à tout être raisonnable, même à celui qui ne croit pas. Je puis fort bien, en effet, ne pas croire en Dieu ; mais même l'athée qu'il l'avoue ou qu'il l'ignore ne peut, selon Kant, trouver désespérante l'idée qu'un Dieu rendra raison du mal, compensera nos souffrances, et assurera la conjonction, impossible sur Terre, du bonheur et de la vertu. N'hésitez pas à partager et à aimer si le cœur vous en dit! Namastépar Delphine ORIEUX Si la nature nous donne la capacité de voir, d’entendre, de ressentir et de toucher, c’est que nous sommes en mesure de traiter les informations que nous recevons pour les retransmettre à notre tour. Si l’univers nous faire part des moindres recoins de son existence, c’est que nous sommes en état de réceptivité pour traiter l’information et ensuite la partager. Si nous avons en nous d’immenses réservoirs pour y stocker toutes les données que nous avons gardées en mémoire, c’est que nous sommes capables d’accéder à la source des informations pour libérer toute empreinte qui nécessite d’être refondue. En nous se trouve tout ce que nous avons à savoir, soit là où nous avons à porter notre attention. Pour accéder à l’information au moment présent, il n’y a qu’à la laisser venir à notre conscience, en dégageant le chemin de tout voile qui pourrait interférer dans la connexion, en étant dans un état de reliance. Cet état ne se commande, ni se dirige, ni s’ordonne, car il est dans notre propre nature, en la source de tout ce qui est, en ce que nous sommes au plus profond de notre être. Ce n’est ni un sentiment, ni une idée, ni une projection, mais bien une vibration, qui par résonnance attire à elle ce qui vibre sur la même longueur d’onde. Rien n’est acquis, rien ne se transmet, car tout est déjà en l’être, dans une multitude de corps qui définit un être, au sein même de toute la création. L’Être vit et partage collectivement, en une infinité de facettes, des aspects de lui-même, en son sein. Alors le fait d’être, rejoint l’existence de ce qui est déjà et qui se manifeste dans des corps définis par leur forme et leur univers. Par le sang, par l’ADN, les informations vibratoires se manifestent ici sur Terre, pour exprimer des attributs, qui définissent un état d’être, que l’on nomme personnalité. La personnalité se fait et se défait comme une pâte à modeler, pour comprendre à travers l’expérience, ce qui nous anime et ce qui rend l’existence possible dans l’univers et dans tout le cosmos. C’est alors que par la compréhension, la vie s’expand, croît et gagne en conscience. Plus la connaissance grandit par la compréhension, plus les expériences s’harmonisent et deviennent joie. Car la force d’Amour, qui unit toute particule de l’univers, attire à elle des vibrations de même fréquence, qui deviennent de plus en plus Amour, jusqu’à la totale fusion. Bien au-delà tout ce qui vit, la force Amour perdure, comme le soleil qui brille, au sein de toute vibration. Lorsqu’une forme se termine s’en viennent de multitudes de formes d’énergie qui se régénèrent et se renouvellent au sein de la création. Le concept de mort et de renaissance est un processus interprété par l’humain, car au sein du divin il n’y a que transformation et changement d’état. Ce qui reste est la conscience, car la forme change. Si l’humain devait porter son attention sur un concept global, cela est comment faire grandir sa conscience ? Les réponses sont apportées quotidiennement, par la vie, par nos expériences et par notre guidance intérieure. Il n’a pas été dit ou choisi que la vie serait un chemin sans embûches, mais plutôt que la vie serait source d’apprentissages, pour agrandir ses perceptions de la réalité et gagner en compréhension, cela pour élargir sa conscience. Voilà où la vie nous mène, sur une route où chaque pas est un élément faisant partie d’une expérience, aboutissant à la compréhension que quelque chose de plus grand existe. Pour comprendre, agis, pense et pose des actes concrets dans ta vie, pour que ta réalité intérieure puisse se manifester tout autour de toi, dans ton monde que tu appelles l’extérieur. À chaque pas s’en vient une nouvelle destination, que juste avant tu ne pouvais soupçonner. Et à chaque création tu vois ta vision globale grandir en toi. Et à chaque palier franchi, tu vois apparaître des manifestations d’Amour, qui en toi font grandir ta joie. C’est là que tu réalises ce que peut être ta conscience, que tu fais partie d’un univers tellement plus grand que toi et que l’univers est Toi. Suis la destination de ton cœur, là où tout semble clair et fluide, là où aucune pensée, croyance et émotion ne peuvent interférer, là où ta joie est. En portant attention à ce chemin, ta vie entière se transforme tout comme ton monde. » Merci, merci, merci Source Partagé par Partage libre en incluant la source et le lien. Notre discernement doit prévaloir à tout moment; les opinions exprimées dans cet article sont les opinions de leurs auteurs et ne reflètent éventuellement pas totalement celles d’Eveilhomme. La vérité particulière est en Vous, la Vérité Universelle est parfaite et équilibrée et intègre tout, elle est » la Source. 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